Imprimer cet article


Le développement durable, entériné dans la Constitution belge

Par Yola Minatchy

Mercredi 23.05.07

« Nous n’héritons pas de la Terre de nos ancêtres,
nous l’empruntons à nos enfants
»
Antoine de Saint-Exupéry


Notre ère a privilégié l’éphémère sur le durable, notre époque a encouragé la société de l’instant. Les enseignements judicieux du passé se sont-ils perdus dans les méandres de nos mémoires? Sans jouer les Cassandres, rappelons que toutes les civilisations n’étant pas parvenues à renouveler la quintessence de son capital écologique, économique, et sociale, s’est disloquée, effritée, évaporée. La splendeur de la civilisation sumérienne disparut par épuisement de son milieu naturel. L’incomparable civilisation maya s’effondra dès la déforestation et l’érosion de ses pentes, générant la pénurie des ressources alimentaires. La désagrégation des rapports sociaux à Rome sonna le glas d’un empire.

En 2007, où va la durabilité de l’Humain et de la Terre ? (note 1)

La notion de développement durable a fait son entrée dans l'arène politique mondiale avec le rapport Brundtland en 1987 (note 2) . Elle signifie que pour être durable dans le temps, le développement d’une société suppose la reproduction, l’élargissement des trois aspects du stock capital :

-le capital économique classique,

-le capital écologique reposant sur des systèmes de production, puis de consommation ne détériorant pas toutes les ressources naturelles de la planète,

-le capital d’équité social comprenant l’intégration à la collectivité, l’accès aux richesses, leur partage équitable, la réduction de la pauvreté.

Le développement durable est ainsi défini comme un mode de développement économique cherchant à concilier le progrès économique et social et la préservation de l'environnement, considérant ce dernier comme un patrimoine à transmettre aux générations futures.

En entérinant le concept de développement durable dans les objectifs de sa Constitution, le sénateur Jean Cornil, marque explicitement l’engagement de la Belgique en faveur d’un mode de développement conciliant progrès social, croissance économique et respect de l’environnement.


I. Le développement durable, objectif de politique générale dans la Constitution


Idéologie et contenance de l’article 7 bis de la Constitution

Une Constitution reflète la mentalité juridique d’un pays, ancre le paradigme des principes protecteurs du droit de ses citoyens, et ce, au-delà de ses alternances politiques, des variations de sa législation. Ainsi, les principes fondamentaux consacrés dans cette norme suprême, comme des fils que l’on tire à tous les niveaux de pouvoirs oriente, lie les politiques de l’Etat fédéral, des entités fédérées.

Graver le développement durable dans le marbre des objectifs de la Constitution démontre aujourd’hui la préoccupation, la volonté, la mobilisation de la Belgique d’acter solennellement son intention d’œuvrer pour le durable.

Un état des lieux du développement à l’orbe de la fragile planète bleue a généré dès les années 1980 une prise de conscience collective: accroissement de la pauvreté, des inégalités économiques et sociales, dilatation des mers, pluies diluviennes, déforestation sauvage, prolifération des bulles de gaz dans l’atmosphère, trou dans la couche d’ozone, cyclones dévastateurs, réchauffement de la planète… Et les intellects des « holocéniens » s’échauffent (note 3) .

D’où en 2006, en Belgique, un premier débat à la Chambre des représentants afin d’inscrire le concept de développement durable dans la Constitution. Couches de colle, interactions entre processus d’une complexité inédite pour la montée des inquiétudes en faveur du durable, la tragédie des communs taraude les esprits. Le 13 juillet 2006, le Sénat a marqué une première étape décisive dans l’évolution de la Constitution en adoptant à la majorité le projet de l’article 7 bis initié par Jean Cornil. Le texte voté énonce que : « dans l’exercice de leurs compétences respectives, l’État fédéral, les communautés et les régions poursuivent les objectifs d’un développement durable, dans ses dimensions sociale, économique et environnementale, en tenant compte de la solidarité entre les générations. »

Le développement durable fait donc son entrée dans les objectifs de la Constitution. Le sénateur PS susmentionné, à l’initiative de la révision de la Constitution adoptée au Sénat, a déclaré lors des débats que le développement durable « est un principe directeur qui doit orienter toutes les politiques. Mais il faut le traduire concrètement par des moyens budgétaires, par des décisions politiques, par le rôle exemplaire que doivent jouer les pouvoirs publics ». Le développement durable consacre un objectif à atteindre qui vise à intégrer l’environnement dans les nouvelles politiques publiques.

Les trois sommets du triangle du développement durable sont énoncés dans l’article 7 bis de la Constitution: la conciliation entre le développement économique, l’équité sociale, la protection d’un environnement équilibré, laquelle devra être compatible avec la vision intergénérationnelle du développement. Ainsi, dans la grammaire de l’article, sont prises en considération, les trois formes d’articulation entre l’économique, le social et l’écologique contenues dans la définition du rapport Bruntland.


Aperçu de l’amendement déposé

Le texte du sénateur socialiste a été soutenu par l’ensemble des politiques, à l’exception des députés Verts et du VB lui reprochant un collage de réflexions déjà existantes sur les considérations économiques, sociales et environnementales, sans innovations réelles.

D’où le dépôt d’un amendement par les Verts, proposant un texte plus achevé à la Chambre (note 4) : « par l'exercice de leurs compétences, les pouvoirs publics mènent, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des frontières nationales, une politique fondée sur le développement durable à savoir un développement qui répond aux besoins du présent dans ses dimensions sociale, économique et environnementale, sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. »

Les thuriféraires de l’amendement précisent, en outre, que les pouvoirs publics doivent « tendre vers l’équilibre entre la consommation de ressources sur une période donnée et le remplacement de ces ressources sur la même période ».

Le texte des Verts propose notamment un champ d’application plus large par le truchement de dispositifs à chaque niveau de pouvoir : sont visés dès lors tous les pouvoirs publics, y compris les Provinces, les Communes, les intercommunales…

A cette fin, Ecolo préconise la mise en place d’une inspection du développement durable qui « serait au développement durable ce que l’inspection des finances est au budget : un gendarme dont le rôle est d’empêcher un accroissement de notre dette environnementale ».

En tout état de cause, il apparaît incontestable que la Belgique cimente dans l’article 7 bis de sa Constitution un acte de responsabilité, une prise de conscience fondée sur la nécessité de générer des comportements différents afin de répondre aux défis écologiques de notre temps.

Néanmoins, l’article proposé par le sénateur Jean Cornil a suscité de vives critiques, particulièrement quant à sa symbolique non créatrice de droit subjectif pour les citoyens.


II. Le développement durable, non créateur de droits subjectifs pour les citoyens



Limites de l’article 7 bis de la Constitution

Le 6 mars 2007, des débats ont été à l’ordre du jour à la Chambre afin de décrypter la teneur des deux propositions du PS et des Verts.

Les Verts reprochent au texte de Jean Cornil d’acter une reconnaissance somme toute symbolique, édulcorée, du développement durable, et de ne rien apporter de plus aux engagements juridiques déjà existants de la Belgique en faveur du développement durable tels que la Déclaration de Rio de 1992, la Déclaration de Johannesburg de 2002, et notamment le Traité de l’UE, dont le Préambule vise à « promouvoir le progrès économique et social de leurs peuples, compte tenu du principe du développement durable ». C’est pourquoi, d’aucuns considèrent que le texte ne vise qu’à « éveiller les consciences », relevant dès lors d’une polysémie sous exploitée, selon les termes de Olivier Godard (note 5) .

Certes, l’article 7 bis instaure un objectif constitutionnel non créateur d’un droit fondamental au développement durable, lequel n’a pas rang de principe constitutionnel.
Il convient de rappeler qu’un objectif constitutionnel ne consacre pas un droit subjectif au développement durable pour les citoyens. En ce sens, le texte proposé par le sénateur PS ne sera pas doté de la valeur juridique d’un principe constitutionnel créateur d’un droit- créance effectif, opposable aux tiers.
Le texte étant sans valeur juridique contraignante, le développement durable restera en conséquence non invocable directement devant les tribunaux pour les citoyens belges.

Par ailleurs, le texte du sénateur PS ne vise qu’un champ d’application restreint, l’Etat fédéral, les Communautés et les Régions, et ce, par rapport à l’exhaustivité de l’amendement des Verts couvrant tous les niveaux de pouvoirs.

C’est pourquoi, l’amendement a été reconnu comme plus achevé en raison de son caractère résolument juridique. Sur le fondement du texte des Verts, la violation du droit au développement durable pourrait être invocable devant les tribunaux, et en ce sens, octroyer une impulsion nouvelle au droit de l’environnement, notamment par la création de jurisprudence novatrice en la matière.

Dès lors, la critique s’est insurgée sur l’intérêt de l’objectif intégré par le sénateur Jean Cornil dans la Constitution.


Intérêts de l’article 7 bis de la Constitution

D’une part, il convient de reconnaître que les objectifs de valeur constitutionnelle s’avèrent utiles dans la mesure où ils peuvent justifier des dérogations à des principes de valeur constitutionnelle. En effet, l’objectif peut servir de limitation à un principe de valeur constitutionnelle. Dans cette hypothèse, plusieurs conditions sont exigées: les atteintes ne doivent pas être manifestement excessives, ou les limitations apportées ne peuvent revêtir un caractère de gravité générant une dénaturation du sens et de la portée du droit constitutionnel.

D’autre part, les objectifs de valeur constitutionnelle ne restreignent pas la marge de manœuvre du législateur, puisqu’ils l’élargissent. L’objectif de valeur constitutionnelle ne s’impose pas à l’administration, mais il concerne le législateur. Le pouvoir réglementaire ne peut de lui même décider d’une telle limitation sans violer la constitution. Il n’existe pas « d’effet cliquet anti-retour » en matière d’objectifs de valeur constitutionnelle. L’effectivité d’un objectif dépend de sa mise en œuvre dans des dispositions législatives. En ce sens, sans doute doit-on attendre de la dynamique de l’article 7 bis, indubitablement pragmatique, des effets de mobilisation positifs de la conscience politique, vers des lois intégrant le concept de développement durable en Belgique, comme annoncé par le sénateur lors des débats.

Dès lors, l’inscription du concept de développement durable dans la Constitution par Jean Cornil relève incontestablement d’un progrès. Il syncrétise un premier pas, une avancée porteuse de valeurs, un repère indiscutable, une nécessité inéluctable de notre temps qu’il convient de louer allègrement.

Bien que la proposition des Verts ait été considérée comme la plus exhaustive par les parlementaires, les socialistes flamands et francophones ont tout de même préconisé la prudence en raison de la dissolution prochaine des Chambres.
D’où le vote le 13 mars 2007 à la Chambre en commission institutionnelle du texte du PS, et ce, avant son approbation en plénière.

A terme, les parlementaires ne pourront se contenter d’un texte allégorique afin d’œuvrer en pratique pour le développement durable de l’Homme et de la Terre. L’initiative du sénateur PS ne peut qu’incarner la première pierre d’un édifice qui hélera indubitablement de nouveaux paliers après les élections fédérales.

Aux élections du 10 juin 2007, une véritable opportunité se présentera en Belgique pour que le développement durable phagocyte, détermine, oriente les choix politiques du prochain gouvernement (note 6) .


Réflexions conclusives


Par développement durable, il ne s’agit pas de construire une nouvelle société dogmatique de type universaliste mais de placer dès aujourd’hui une politique économique, sociale, environnementale congruente au service de l’Homme, de la Terre, au-delà de tout inhibiteur, et négateur marchand.

Outre les dimensions évoquées, l’économique, le social et l’écologique, il devient urgent de mettre l’accent vers une cohérence d’ensemble entre ces trois galaxies éclatées : le monde de la notation boursière n’est pas celui du réchauffement de la planète, celui de l’audit social n’est pas celui l’écologie industrielle. D’où la nécessité d’une grammaire commune, d’un choix entre les priorités, d’une clarification des enjeux, pour une meilleure efficacité sur le long terme et le court terme, sur le local et le global, et sur les synergies entre ces trois entités du développement durable.

Le temps où le développement durable relevait de l’apanage des écologistes seuls est une époque révolue. L’heure n’est plus en la matière aux prévenances idéologiques, philosophiques, aux questions de sémantique juridique, mais aux antidotes urgents, à l’action de tout citoyen responsable : notamment en commençant par infléchir fermement et durablement nos comportements, nos habitudes de consommation ; en apprenant à partager, à économiser de manière équitable les ressources planétaires, en gaspillant le moins d’eau, d’énergie, en utilisant les technologies les moins polluantes (note 7) .
Nous avons le devoir moral de décider en agissant efficacement dans notre quotidien. Nous avons les capacités de changer notre société par une nouvelle humanitude.

Car notre société de zapping, de consommation, de l’instant, de l’éphémère recèle une faille dirimante : nous n’avons pas une autre planète Terre de rechange.



Yola MINATCHY
Avocate au Barreau de Bruxelles
Courriel : y.minatchy@avocat.be



Notes:

(1) Lire Catherine Aubertin et Franck Dominique Vivien, Le développement durable, enjeux politiques, économiques et sociaux, La documentation française, 2005. Lire Denis Salles, Les défis de l’environnement, démocratie et efficacité, Syllepse, 2006. Lire Jean Coppans, Développement mondial et mutations des sociétés contemporaines, Armand Colin, 2006.

(2) Rapport du nom de Madame Gro Harlem Brundtland, ministre norvégienne de l'environnement présidant la Commission mondiale sur l’environnement et le développement. Ledit rapport intitulé Notre avenir à tous a été soumis à l'Assemblée nationale des Nations unies en 1987.

(3) Voir le film de Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, Où va le monde M. Stiglitz, Le Nouvel Observateur, Mai 2007. Voir le film de Al Gore Les vérités qui dérangent.

(4) Doc 51 2661/001, Chambre des représentants de Belgique, 18 août 2006.

(5) Lire Olivier GODARD, directeur de recherches au CNRS, Les figures de l’irréversibilité en économie, Editions EHESS. Le développement durable, une chimère, une mystification ? Mouvements, Développement durable ou décroissance sélective ?, N° 41, pp. 14-23.

(6) La pétition pour le Pacte écologique belge peut être signée sur le site : www.pacte-ecologique.be, dans la revue Imagine, demain le monde ou divers lieux publics; lire Acte-écologique.be, pour un pacte écologique belge, lancé par une plate-forme d’associations environnementales, ouvrage préfacé par Nicolas Hulot, aux éditions Luc Pire.

(7) Voir en ce sens le site : www.bonreflexe.be, et http:// forum.ernergywatchers.be


Source : DroitBelge.Net - Actualités - 23 mai 2007


Imprimer cet article (Format A4)

* *
*


Bookmark and Share