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Constructions fiscales basées sur l’usufruit : le législateur s’en mêle !

Par François Collon

Lundi 18.09.06

Une structure d’optimisation fiscale, très fréquente en pratique, pourrait être mise à mal dans les prochains mois. Il s’agit de la détention d’un immeuble en usufruit par une société et en nue-propriété par son gérant.

En effet, une proposition de loi « réformant le traitement fiscal des constructions basées sur l’usufruit » a été déposée le 29 juin 2006 par les députés sp.a Dirk Van der Maelen et Anne-Marie Baeke. Elle tend à limiter, voire anéantir les avantages de telles structures.

Après un rappel de la situation fiscale engendrée par l’acquisition pure et simple de la propriété d’un immeuble par une société pour le mettre à la disposition de son gérant, nous examinerons en quoi la scission usufruit/nue propriété peut s’avérer plus intéssante. Enfin, en guise de conclusion, nous présenterons très brièvement la proposition de loi déposée…celle-ci devant encore subir tout le parcours parlementaire et ne justifie donc, à ce stade, que de brefs commentaires.


Acquisition d’un immeuble par une société et mise à disposition de son gérant

Droits d’enregistrement ou TVA

L’acquisition d’un immeuble par une société est soumise aux droits d’enregistrement de 10 % en Flandre et de 12,5 % ailleurs en Belgique. Si l’immeuble est neuf au sens de la TVA (il est considéré comme tel jusqu’à la fin de la deuxième année qui suit celle de la première occupation), le droit d’enregistrement peut éventuellement être remplacé par la TVA de 21 %.


Les avantages de la détention d’un immeuble par une société

Les avantages se situent en général à deux niveaux.

• en cas de cession future, la vente des titres (au lieu de la vente directe de l’immeuble) permet d’éviter la perception de droits d’enregistrement et bénéficie de l’immunisation des plus-values. Cet avantage ne joue évidemment que si la société a pour seul actif un patrimoine immobilier. Si tel n’est pas le cas, une scission de la société, opération lourde et risquée s’impose au préalable ;

• la société peut normalement déduire toutes les charges liées à l’immeuble. Cet avantage est, quant à lui, incontestable. La société pourra déduire l’intégralité des frais de financement, les amortissements (3% par an pour un immeuble d’habitation), les frais d’entretien, de réparation, d’assurance, le précompte immobilier. Il y a lieu, néanmoins, de nuancer quelque peu ce principe. La Cour de cassation a, en effet, dans un arrêt rendu le 12 décembre 2003, considéré que, pour être déductibles, les charges devaient rentrer précisément dans les limites de l’objet social statutaire de la société (ce qui est rarement le cas de frais occasionnés dans le cadre d’une habitation privée). Cette jurisprudence est très critiquable (et critiquée). Quoiqu’il en soit, il y a lieu d’en tenir compte.


Les désavantages de la détention d’un immeuble par une société

Ils existent deux principaux désavantages :


L’avantage en nature pour mise à disposition d’un immeuble par une société

Lorsque l’immeuble appartenant à une société est occupé totalement ou partiellement par le dirigeant à des fins privées, ce dernier est, soumis à un avantage en nature.


Celui-ci est en général égal au R.C. indexé x 200 / 60

Le revenu cadastral envisagé n’est que celui afférent à la partie privée de l’immeuble (puisque le dirigeant ne reçoit aucun « avantage » sur la partie qui est affectée professionnellement).

Si l’habitation est meublée au frais de la société, l’avantage est en outre majoré de 2/3.

Le montant de l’avantage imposable est encore augmenté de 1.180 EUR et de 590 EUR par an, si la société prend en charge les frais de chauffage et d’électricité de l’immeuble.

Plutôt que de subir la taxation d’un tel avantage, le gérant peut évidemment choisir de payer un loyer à la société. Celui-ci devra, en toute hypothèse, être au moins égal à l’avantage tel que calculé ci-dessus car la différence sera toujours imposable. Les loyers payés feront, quant à eux, partie de la base imposable de la société.


La taxation de la plus-value en cas de revente

Un autre désavantage de l’acquisition d’un immeuble par l’intermédiaire d’une société consiste en la taxation de la plus-value en cas de revente.

Cette plus-value n’aurait pas été taxable si l’immeuble avait été acquis directement par le gérant dans le cadre de son patrimoine privé.

Même une liquidation éventuelle de la société n’empêchera pas la taxation de la plus-value dans le chef de la société en liquidation .


L’acquisition de l’usufruit par la société et de la nue-propriété par son gérant

L’usufruit, régi par les articles 578 à 624 du Code civil, est un droit réel permettant à son titulaire (l’usufruitier) de jouir d’un bien dont un autre a la propriété (le nu-propriétaire) comme le propriétaire, mais à charge d’en conserver la substance. L’usufruitier a le droit d’utiliser la chose et d’en retirer les fruits. Il peut donc louer le bien, procéder à des aménagements, l’hypothéquer. Il n’est tenu qu’aux réparations d’entretien, les grosses réparations étant à charge du nu-propriétaire, sauf si elles sont occasionnées par le défaut d’entretien de l’usufruitier. La durée de l’usufruit constitué au profit d’une société ne peut excéder trente ans. Aucune durée minimale n’est en revanche imposée. A l’expiration du contrat, aucune indemnité n’est due à l’usufruitier, le nu-propriétaire retrouvant la pleine propriété de l’immeuble (et les éventuels aménagements) par le seul mécanisme de l’usufruit. Toutes ces règles (sauf celle relative à la durée maximale) sont supplétives et il est donc permis d’y déroger.

Sur le plan des impôts directs, la constitution ou la cession d’un usufruit n’est souvent pas taxée dans la pratique. En effet, les sommes obtenues par le cédant à l’occasion de la cession de l’usufruit ne sont, en principe, pas considérées comme des revenus de biens immobiliers et échappe à toute taxation.


Valeur de l’usufruit et de la nue-propriété pour le calcul des droits d’enregistrement

La valeur vénale de l’usufruit est représentée par la somme obtenue en capitalisant au taux de 4 % le revenu annuel, compte tenu de la durée assignée à l'usufruit par la convention.

L’usufruit ne peut jamais avoir une valeur supérieure à 80 % de la valeur de la pleine propriété.Fort logiquement, la valeur de la nue-propriété s’obtient en déduisant la valeur de l’usufruit de la valeur de la pleine propriété. Il n’y a donc, du point de vue des droits d’enregistrement, aucun avantage particulier lié à la structure puisqu’en toute hypothèse les droits sont payés sur la valeur de la pleine propriété.


Intérêt de la technique sur le plan fiscal

Les avantages fiscaux liés à ce type d’opération sont les suivants :

• la société peut déduire toutes les charges liées à l’immeuble (voir ci-dessus)

• la société peut amortir la valeur de l’usufruit et les éventuels travaux d’aménagement sur la durée de vie de l’usufruit, ce qui permet un amortissement accéléré par rapport à l’amortissement à 3 % sur la pleine propriété de l’immeuble ;

• l’avantage en nature sur lequel le gérant est taxé pour la mise à disposition gratuite de l’immeuble est limité à la quote-part de l’immeuble dont la société à l’usufruit ;

• à l’issue du contrat, le gérant retrouve la pleine propriété de l’immeuble sans avoir à acquitter d’indemnité (voir néanmoins ci-dessous) et toute cession ultérieure de l’immeuble devient un acte de gestion normale du patrimoine privé, non taxé.


Les risques de cette structure

L’administration tente bien souvent de procéder à la taxation d’un avantage en nature dans le chef du gérant à l’extinction de l’usufruit en se fondant sur l’absence d’indemnisation à la société pour les travaux et aménagements éventuellement effectués.

Interrogée récemment à propos d’un montage prévoyant l’acquisition par une société d’un usufruit de 15 ans sur un immeuble, la nue-propriété revenant au gérant, la Commission du ruling du Service Public Fédéral Finances a admis la validité d’un tel montage et des déductions fiscales qui en découlaient, mais a précisé cependant que « le gérant pouvait être éventuellement imposé sur un avantage de toute nature au moment où, à l’expiration de la durée de l’usufruit, il retrouvera la pleine propriété de l’immeuble ».

Il faut être également attentif au fait que de telles opérations sont inévitablement appelées à se réaliser sur le long terme. La législation fiscale, très évolutive, pourrait bien engendrer un jour une disposition sanctionnant ou mettant à mal ces montages.

Il importe donc, comme toujours en matière fiscale (et en toutes matières juridiques) de respecter scrupuleusement les termes de la convention et les conséquences civiles du droit d’usufruit.

Il faut aussi éviter que l’administration puisse considérer l’opération comme simulée.


La proposition de loi déposée le 29 juin 2006

Cette proposition de loi vise à rendre la constitution ou la cession d’un usufruit imposable dans le chef de celui qui renonce à l’usufruit. Ce dernier est imposé sur les sommes obtenues en contrepartie de la cession, ainsi que sur tous les avantages découlant de la constitution ou de la cession d’un usufruit.

Elle tend donc à mettre un frein à la création de ces structures puisque le propriétaire cédant l’usufruit se verra taxé sur les sommes reçues en contrepartie et sur les avantages recueillis. Le régime fiscal s’apparenterait donc à celui applicable à la mise en location du bien. Les structures existantes ne devraient pas être remises en cause par cette modification législative.

Comme nous l’avons déjà mentionné, cette proposition de loi doit encore suivre tout le parcours parlementaire (examen en commission, amendement, vote, etc.) et pourrait très bien ne jamais aboutir. D’ici là, il est toujours temps, si on y trouve un intérêt et avec la plus grande prudence, de recourir à cette structure.





François Collon (fco@dalvel.com)
Avocat
Dal & Veldekens (www.dalveldekens.com)








Source : DroitBelge.Net - Actualités - 18 septembre 2006


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