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Lire les comptes annuels

Par Eric Causin

Vendredi 23.06.06

a) Introduction :

En eux-mêmes, le bilan et le compte de résultats ne sont que des colonnes de chiffres muets. Celui qui en domine les clés de lecture peut en tirer de précieux enseignements. L’analyse financière est une technique et un art qui s’apprennent par la connaissance et par une pratique assidues. Essayons d’entrouvrir les portes de ce sésame sans pour autant ignorer les approfondissements nécessaires avant d’arrêter des jugements péremptoires.

L’analyse des comptes doit être souvent précédée par un regard critique sur les données et les opérations comptables : certains frais activés (établissement, restructuration, recherche et développement) ne devraient-ils pas être portés en charge ? Les stocks ou les commandes en cours ne sont-ils pas surévalués (pour masquer des pertes) ou sous-évalués (pour masquer des profits) ? Les créances ne devaient-elles pas être réduites ? La production immobilisée ne masque-t-elle pas un manque d’activité rémunératrice ? La charge des intérimaires, qui est classée dans les services, ne devrait-elle pas être reclassée dans les rémunérations ? etc.

Ce préalable étant accompli, la lecture du bilan et du compte de résultats peut être engagée en soumettant les chiffres à une série de « ratios ». Cette technique repose sur deux idées : la première est qu’exprimés en pourcentage les chiffres sont plus parlants qu’exprimés en valeurs absolues ; la deuxième est que certains rapports de masses financières sont a priori pertinents pour apprécier la santé d’une entreprise. Par exemple, il est couramment admis qu’une structure normale de financement offre un tiers de fonds de propres, un tiers de dettes à plus d’un an et un tiers de dettes à un an au plus. Pour connaître le ratio de l’entreprise considérée, il suffit donc de diviser, respectivement, ces trois masses par le total du bilan, et de multiplier ce quotient par cent.

Il est possible d’imaginer autant de ratios que de combinaisons entre les rubriques des comptes, c’est-à-dire une infinité. Toutefois, un ratio n’est pertinent que s’il donne une information utile quant à la structure financière ou à la gestion de l’entreprise. Les critères fondamentaux à cet égard sont la liquidité, la solvabilité et la rentabilité. Ils permettent d’identifier et de comprendre l’enchaînement des causes déterminant l’évolution d’une entreprise, et même de remonter à des sources échappant à l’analyse des chiffres : une entreprise dont la trésorerie est faible (liquidité) souffre généralement d’un manque de fonds propres (solvabilité), les actionnaires sont réticents à la soutenir davantage parce que les bénéfice ne sont pas à la hauteur des attentes du marché (rentabilité), ce défaut de capacité bénéficiaire est souvent imputable à des lacunes dans la gestion (management ou contrôle), qui elle-même s’inscrit parfois dans un manque de vision ou de discernement à long terme (stratégie), à moins qu’il s’agisse d’une crise macro-économique échappant au contrôle de l’entreprise (cause exogène). Dans la pratique, évidemment, l’analyse des causes et l’enchaînement de celles-ci peut, selon les circonstances, se réaliser dans n’importe quel sens et selon n’importe quelle combinaison.


b) La liquidité :

La liquidité est l’aptitude de l’entreprise à mobiliser du numéraire en vue de couvrir ses besoins financiers immédiats autrement que par l’accroissement de ses dettes. Pour être saine, l’entreprise doit être liquide. Sa trésorerie, qui est l’expression de sa liquidité, constitue son trésor de guerre ; c’est elle qui, prioritairement, permettra à l’entreprise de faire face aux imprévus urgents ou aux opportunités à saisir immédiatement. Plus l’entreprise est liquide, moins elle est exposée au risque de faillite et plus elle est capable de saisir les opportunité : liquidité = flexibilité.

Liquidité générale :

« Actifs circulants / Passifs circulants » est le ratio de liquidité « générale » (« current ratio »). Les actifs circulants sont les actifs autres que les immobilisés, les créances à plus d’un an et les comptes de régularisation. Ce sont donc les Stocks et les Commandes en cours, plus les Créances à un an maximum, plus les Placements de trésorerie, plus le Disponible. Les passifs circulants sont les passifs autres que les ressources à plus d’un an et les comptes de régularisation. Ce sont donc les Dettes à un an maximum.

Le ratio de liquidité générale exprime l’aptitude de l’entreprise à faire face à ses dettes à court terme au moyen de ses actifs aisément mobilisables. L’entreprise est d’autant plus liquide que le ratio est élevé. Celui-ci donne une première idée de l’état de la trésorerie : celle-ci est positive ou négative à concurrence du montant égal à la différence entre les actifs circulants et les dettes à un an au plus. Le ratio de liquidité générale doit être égal ou supérieur à l’unité.

Liquidité stricte :

« Actifs circulants monétaires / Passifs circulants » est le ratio de liquidité « stricte ». Fondamentalement identique au précédent dans sa nature et sa fonction, ce ratio élimine simplement les Stocks et Commandes en cours du numérateur. Cette élimination rend le ratio plus sévère puisque, pour obtenir le même score, l’entreprise doit avoir, soit moins de dettes à court terme, soit plus d’actifs circulants monétaires. C’est pourquoi on l’appelle la ratio de liquidité « stricte » (« acid test » ou « quick ratio »). Le ratio optimal est égal ou supérieur à l’unité.

Ce ratio permet de vérifier si l’entreprise resterait capable de payer ses dettes à court terme en cas de ralentissement - voire de rupture - d’activité. En pareil cas, en effet, les Stocks eux-mêmes, voire les Commandes en cours, ne tournent plus, il devient donc impossible d’en réduire la masse, tandis que la masse des dettes à court terme tend au contraire à se réduire, les achats nouveaux auprès des fournisseurs étant inférieurs au montant des dettes venant à échéance. Ce phénomène de réduction des masses est lié à la rotation des actifs circulants.

Rotation des actifs et des passifs circulants :

Les problèmes de liquidité trouvent souvent leur origine dans le fait que l’entreprise a sous-estimé son besoin en fonds de roulement, c’est-à-dire la différence entre ses actifs circulants hors disponible et ses passifs circulants hors dettes bancaires de trésorerie. Beaucoup songent aux investissements en immobilisés mais oublient que les stocks et les créances commerciales sont aussi des actifs à financer étant donné qu’avant d’encaisser le produit de ses ventes, l’entreprise devra acheter des matières ou des marchandises et payer ses fournisseurs, faire travailler du personnel et payer les salaires, enfin souvent donner des jours voire de mois de crédit aux clients.

Le besoin en fonds de roulement est corrélé au cycle d’exploitation, c’est-à-dire à la durée entre le moment du premier achat destiné à la vente et le moment d’encaissement du produit de cette vente. Le besoin en fonds de roulement est d’autant plus faible que la vitesse de rotation des actifs circulants est élevée et que la vitesse de rotation des passifs circulants est faible. Exprimée de façon triviale, l’idée est d’accélérer le paiement des clients et la rotation des stocks, et d’allonger les délais de paiement des fournisseurs. Par exemple, pour un chiffre d’affaires annuel de 120, la rotation des créances commerciales est égale à 6 si leur masse bilantaire s’élève à 20, ce qui correspond à un délai de paiement de 2 mois (ratio « Chiffre d’affaires hors tva / créances commerciales à un an au plus hors tva »). Pour augmenter la rotation de ces créances, il faut réduire le délai de paiement des clients : en ramenant celui-ci à 1 mois, si la masse se réduit à 10 et la vitesse de rotation passe à 12. Il importe dès lors de pouvoir constamment mesurer la vitesse de rotation des actifs et des passifs circulants, c’est-à-dire le nombre de fois que ces éléments se renouvellent au cours d’un cycle d’exploitation.

Le besoin en fonds de roulement n’est pas statique, en général il augmente proportionnellement au chiffre d’affaires. Le ratio « Besoin en fonds de roulement / Chiffre d’affaires » renseigne le taux du besoin en fonds de roulement par rapport au chiffre d’affaires, ce qui permet de connaître l’augmentation du besoin en fonds de roulement correspondant à une augmentation du volume de l’activité. Cette information est extrêmement importante pour vérifier que l’entreprise ne se laisse pas illusionner par la croissance et piéger par ce qu’on appelle « l’effet de ciseau ». Celui-ci est l’étranglement financier causé par une augmentation du besoin en fonds de roulement supérieure à l’augmentation du fonds de roulement : c’est la situation de l’entreprise dont le chiffre d’affaires augmente mais qui n’est pas assez rentable pour couvrir la croissance de son besoin en fonds de roulement par ses bénéfices. Pour échapper à l’effet de ciseau, il faut que la croissance du chiffre d’affaires (ci-après : « + CA ») ne dépasse par le seuil au-delà duquel le taux du bénéfice par rapport au chiffre d’affaires (ci-après : « b ») devient inférieur au taux du besoin en fonds de roulement (ci-après : « d »). Ce taux de croissance maximum peut être calculé par la formule suivante : + CA = b / (d - b). Par exemple, si b = 3 % et d = 9 %, alors + CA = 3 / (9 - 3) = 3/6 = 50 % maximum. L’enseignement du ratio est encore plus utile si on remplace le bénéfice par la marge nette d’autofinancement (sur cette notion : voir plus bas).


c) La solvabilité :

La solvabilité est l’aptitude de l’entreprise à payer ses dettes. Les ratios de solvabilité mesurent donc le degré d’autonomie financière de l’entreprise. Pour être saine, l’entreprise doit être solvable. Plus elle est solvable, plus elle suscitera la confiance des bailleurs de fonds et, conséquemment, moindre sera le coût de son financement. Solvabilité = accès au financement.

Indépendance financière structurelle :

La proportion idéale des fonds propres par rapport au total du bilan (« Fonds propres / Total bilan ») n’est pas déterminée a priori. C’est la combinaison de quelques critères généraux qui doit guider la décision en fonction des circonstances propres à l’entreprise. Plus ses fonds propres sont élevés, plus l’entreprise est financièrement indépendante : il est plus facile d’obtenir des capitaux des actionnaires en période d’abondance qu’en période de disette, et la menace des créanciers en cas de coup dur est moins dangereuse si le taux d’endettement est faible.

La volonté d’indépendance doit, toutefois, être gérée en corrélation avec l’objectif de rentabilité. Or, la rentabilité des fonds propres augmente lorsque la rentabilité économique des fonds empruntés est supérieure à leur coût : c’est ce qu’on appelle « l’effet de levier » (voir ci-dessous : « le bénéfice »). Il faut donc trouver un juste équilibre entre la part des fonds propres et la part des dettes.

En outre, souhaitant voir les actionnaires prendre un risque au moins égal au leur, les banquiers n’apprécient guère que les dettes financières à plus d’un an dépassent le montant des fonds propres. De ce point de vue, les fonds propres doivent donc atteindre le montant des dettes à plus d’un an (ratio « Fonds propres / Dettes à plus d’un an »). En pratique, en augmentant ses fonds propres, l’entreprise augmente aussi sa capacité d’emprunt ; inversement, lorsque ses fonds propres diminuent, l’entreprise doit s’attendre à un comportement restrictif de la part des ses bailleurs de fonds.

Indépendance financière temporelle :

Les bailleurs de fond ne s’intéressent pas seulement à la structure du bilan. Ils apprécient aussi pouvoir constater que l’activité de l’entreprise, mesurée sur un horizon de temps prévisible, générera le numéraire nécessaire pour couvrir les dettes venant progressivement à échéance.

Le ratio « Marge d’autofinancement / Dettes à plus d’un an » permet de mesurer en combien de temps le débiteur sera capable de rembourser ses dettes au moyen des ressources de son activité. La marge d’autofinancement - ou « cash flow » - est le montant des ressources financières générées par l’activité au cours de la période écoulée. Elle comprend le résultat (avant ou - mieux - après impôt) plus les ajustements de valeur, par exemple le bénéfice de l’exercice plus les amortissements et les provisions (voir ci-dessous : les paliers de l rentabilité).

Idéalement, cette durée ne dépassera pas l’horizon de prévisibilité de l’activité. Pour un horizon d’environ trois années, le ratio devrait donc tourner autour de trois. De ce point de vue, une entreprise dont ce ratio est supérieur à trois trouvera aisément à financer ses investissements. Dans la mesure où cet horizon est manifestement trop court par rapport à certains investissements (immeubles notamment), le ratio peut être affiné en écartant la part des dettes afférente à ceux-ci.

Indépendance financière stratégique :

Si les établissements de crédit financent volontiers les immobilisations, il n’en va pas de même pour le besoin en fonds de roulement. Les fonds propres doivent dès lors couvrir au moins le besoin en fonds de roulement structurel, c’est-à-dire le besoin minimum constant hormis les variations conjoncturelles, saisonnières ou accidentelles, qui quant à elles peuvent être financées par des crédits à court terme. Le ratio correspondant est donc : « (Fonds propres - immobilisations) / Besoin en fonds de roulement ». Le solde des fonds propres après déduction des immobilisations est le « fonds de roulement ».

De façon plus large, les fonds propres doivent couvrir tout ce que les marchés financiers sont réticents à couvrir, si ce n’est à des prix exorbitants (primes de risque) : les risques de pertes entraînant une sortie de liquidité, les revers conjoncturels qui augmentent le besoin en fonds de roulement alors que le chiffre d’affaires baisse, les recherches sans perspective d’application planifiable, les frais de restructuration, etc. Pour assurer la liquidité de l’entreprise, le ratio « Fonds de roulement / Besoin en fonds de roulement » doit être égal à l’unité. Mais pour assurer l’indépendance financière stratégique, ce ratio doit évidemment être supérieur à l’unité. Plus il est élevé, plus il permettra librement à l’entrepreneur de poser les choix stratégiques qui lui sont propres.


d) La rentabilité :

La rentabilité est le résultat de l’activité par rapport aux ressources. Pour survivre, toute activité doit avoir une rentabilité positive. Au sens classique mais restrictif du terme, la rentabilité est le montant du bénéfice par rapport au capital. Dans un sens plus large, cependant, la rentabilité est la rémunération propre à chaque facteur de production : l’argent des actionnaires, l’argent des bailleurs de fonds, le travail du personnel et des collaborateurs, enfin les résultats antérieurs réinjectés dans l’activité.

Les paliers de la rentabilité :

L’analyse de la rentabilité consiste à s’intéresser aux différents paliers de l’activité, à savoir :


Pour la pérennité et pour le développement de l’entreprise, l’objectif est évidemment de maximiser la Variation des fonds propres ainsi que la Marge nette d’autofinancement : la première est le montant de l’enrichissement de l’entreprise généré par l’exercice, la seconde est le montant des ressources financières de l’entreprise générées par l’exercice.

La marge commerciale :

La rentabilité des entreprises dites commerciales, c’est-à-dire de celles qui achètent des produits en vue de les revendre sans les transformer, dépend de leur marge commerciale, c’est-à-dire de la différence entre le coût d’acquisition de ces produits et le prix auquel ils seront revendus. Pour apprécier la croissance d’une entreprise commerciale, il faut s’intéresser à sa marge, pas à son chiffre d’affaires. A quoi sert-il de laisser croître le chiffre d’affaires si la marge totale reste inchangée tandis que la masse des coûts fixes augmente ? Il s’agit d’un succès factice.

La marge totale est la différence entre le Chiffre d’affaires et le Coût d’acquisition des marchandises vendues. C’est donc le montant dont l’entreprise disposera pour financer les charges fixes de son activité. En divisant cette masse de charges fixes par sa marge unitaire, l’entreprise détermine son « point mort », c’est-à-dire le niveau du volume vendu à partir duquel l’activité devient rentable.

Par exemple, pour une masse de coûts fixes de 180 et une marge unitaire de 3, l’entreprise doit vendre 60 unités de produits pour couvrir ses coûts fixes : la vente de 60 unités doit donc constituer son objectif minimal, en dessous elle est en perte, au dessus elle est en profit. Toute modification de la marge a évidemment pour effet de déplacer le point mort. Par exemple, si la marge descend à 2, le point mort monte à 90, ce qui suppose une croissance de 50 % du volume des ventes !

Le calcul de la marge variera d’une entreprise à l’autre, en fonction de la structure de l’activité. Pour calculer correctement le point mort, il faut se fonder sur la marge commerciale nette des coûts commerciaux variables. De la marge brute il faut donc déduire l’ensemble des coûts variables d’achat et de vente, par exemple tout ou partie des frais de marketing et de distribution.

À partir de ces différentes variables, l’entreprise peut se doter d’une batterie de ratios pertinents pour contrôler sa rentabilité commerciale. Tous ces ratios doivent lui permettre de surveiller le plus important d’entre eux : « Marge totale / Chiffre d’affaires ».

La valeur ajoutée :

La valeur ajoutée est, comme le terme le suggère, la valeur additionnelle générée par la production de l’entreprise. Il s’agit de la différence entre les Produits d’exploitation (hors subsides), d’une part, les Approvisionnements et marchandises, plus les Services et biens divers, d’autre part. La valeur ajoutée est donc le montant des Produits d’exploitation restant après avoir couvert les Charges à décaisser relatives à cette production. Ce montant est une « valeur ajoutée » dans le sens où il s’ajoute à la valeur produite par les entreprises desquelles proviennent les acquisitions intégrées dans la production propre, il constitue dès lors la valeur produite par l’entreprise elle-même et il permet à celle-ci de rémunérer ses propres facteurs de production.

Dans l’exemple ci-dessus relatif à la marge commerciale, supposons que les coûts fixes de 180 soient constitués par 30 de Services et biens divers - essentiellement des frais de bureau (loyer et fournitures diverses) -, 150 de Rémunérations du personnel et 5 de Charges financières (intérêts bancaires). Dans ce cas, pour une marge totale de 200, la valeur ajoutée par l’entreprise s’élève à 200 - 30 = 170. Ce montant permet de rémunérer les facteurs de production que sont le travail, les fonds de tiers et, pour le surplus, les fonds propres : 170 - 150 - 5 = 15 de rémunération des fonds propres.

Toute entreprise doit en permanence contrôler sa valeur ajoutée pour s’assurer de la couverture effective du coût de ses facteurs de production par sa marge totale. Le coût du travail, par exemple, est certes une valeur ajoutée par l’entreprise mais, en pratique, il s’agit d’une Charge qui doit être couverte par les Produits. Le contrôle portera surtout sur l’évolution du pourcentage de chaque composante de la valeur ajoutée par rapport à la valeur ajoutée totale. Par exemple, l’entreprise dont les Rémunérations comparées à la valeur ajoutée totale (supposée constante) tendent à augmenter, souffre d’une perte de productivité : la part du travail augmente par rapport à la valeur produite, tandis que – symétriquement - la rémunération relative des fonds de tiers et des fonds propres diminue.

Le contrôle permanent du ratio « Rémunérations / Valeur ajoutée totale » est particulièrement important dans les entreprises industrielles et dans les entreprises de services, dans lesquelles la part du coût du travail dans la valeur ajoutée est inévitablement élevée et constitue un coût fixe. Toute augmentation de ce ratio est, en effet, de nature à dégrader durablement la rentabilité financière de l’entreprise.

Le bénéfice :

Le bénéfice est ce qui reste de la valeur ajoutée après rémunération du travail et des fonds empruntés. C’est donc le montant qui, après impôt sur les revenus, rémunère les fonds propres de l’entreprise. Pour apprécier son importance relative, on peut comparer le bénéfice - avant ou après impôt - à différentes données comptables.

Le ratio « Bénéfice / Chiffre d’affaires » ou « Bénéfice / Marge commerciale totale » compare les deux bouts de la chaîne du compte de résultats. Il indique la sensibilité du bénéfice par rapport à une variation quelconque d’un des maillons de la chaîne. Pour beaucoup d’entreprises, ce ratio est faible : le bénéfice est souvent inférieur à 1 % du chiffre d’affaires, voire de la marge, ce qui surprend les détracteurs du capitalisme. Un ratio aussi faible montre que le bénéfice est très sensible à l’activité : une amélioration de 1 % de l’activité peut doubler le bénéfice, une détérioration de 1 % peut l’annihiler.

Les ratios « Bénéfice / Passif », « Bénéfice / Dettes rémunérées » et « Bénéfice / Fonds propres » expriment la rentabilité de l’activité par rapport aux ressources financières mises à sa disposition. Ce taux permet de dire si l’entreprise gère ses ressources avec dynamisme. Logiquement, le ratio « Bénéfice / Passif » ou - mieux - le ratio « (Bénéfice + Charges financières) / Passif » devrait être supérieur au taux d’intérêt du marché des placements réputés sans risque. Si tel n’est pas le cas, l’entreprise sous-exploite ses ressources, elle détient peut-être des actifs dormants et elle est s’expose aux convoitises extérieures.

Le ratio « Bénéfice / Dettes rémunérées » permet aussi d’apprécier « l’effet de levier », c’est-à-dire l’opportunité de financer l’activité par le recours au financement externe rémunéré par un intérêt (dettes rémunérées). Tant que le bénéfice par rapport aux dettes rémunérées est supérieur à la rémunération de ces dettes, l’entreprise gagne à se financer par recours aux emprunts ou au crédit bancaire, car la différence entre ce rendement et ce coût s’ajoute aux bénéfices et contribue donc à augmenter la rentabilité des fonds propres. Prenons l’exemple d’une entreprise dont le bénéfice est égal à 5 et dont le total du bilan est égal à 100. La rentabilité de l’activité est donc égale à 5/100 = 5 %, ce qui, toutes choses étant par ailleurs égales, est neutre voire faible si le taux de rendement des placements dits sans risque est identique. Cependant, ce taux peut en fait abriter une rentabilité des fonds propres très différente selon la structure financière du passif. Si les fonds propres représentent la totalité du passif, le taux de 5% exprime le rendement des fonds propres. Par contre, si les fonds propres ne représentent que 20 % du total du passif, au rendement de 5 du passif correspond en fait un taux de rendement des fonds propres égal à 5/20 = 25 % !

Le ratio « Marge nette d’autofinancement / Bénéfice » permet de mesure la rémunération de l’entreprise elle-même par rapport au bénéfice. Si ce ratio se dégrade au fil du temps alors que ni le taux d’imposition ni le taux de distribution des bénéfices n’ont augmenté, on peut craindre que l’entreprise ait une politique de rentabilité immédiate non soucieuse de la rentabilité à long terme (moindre amortissements correspondant à moins d’investissements), des assainissements nécessaires (moindre réductions de valeur sur stocks ou sur créances) ou des prévisions de dépenses (moindre provisions).


e) Approfondissements :

L’analyse financière approfondie d’une entreprise ne peut se limiter au bilan et au compte de résultats, elle doit s’étendre à l’ensemble des documents pertinents, à savoir également :

l’annexe : elle détaille certaines rubriques du bilan, par exemple les dettes fiscales et sociales échues, et elle révèle des données patrimoniales importantes qui n’ont pas leur place dans le bilan, par exemple les garanties données ou reçues,

le rapport de gestion : en principe ce document doit éclairer les chiffres, pas simplement les paraphraser, il doit aussi faire état des données importantes survenues depuis la clôture de l’exercice comptable,

le rapport du commissaire : il est important lorsqu’il exprime des critiques à l’adresse des comptes et il est utile lorsqu’il propose une analyse financière des comptes,

le tableau de financement : à ce jour non obligatoire en Belgique, il exprime les flux financiers, ce qui permet d’anticiper l’évolution de la structure du patrimoine.

Une analyse approfondie ne peut se limiter à une année, ni à une seule entreprise. Pour rendre les chiffres parlants, il faut pouvoir les comparer à des étalons. Les points de comparaison pertinents sont les chiffres passés de l’entreprise : on étendra donc l’analyse à la comparaison des trois ou des cinq dernières années. Ce sont aussi les chiffres d’entreprises comparables, soit parce qu’elles sont des concurrents, soit parce qu’elles présentent des caractéristiques fondamentales analogues.

En outre, la date de clôture des comptes n’est pas nécessairement la plus pertinente pour chaque montant du bilan ou du compte de résultats. Par exemple, une catastrophe ou au contraire un accord stratégique important peuvent s’être produits le lendemain de la clôture, frappant les chiffres de la veille d’obsolescence ; d’où l’importance de la mention dans le rapport de gestion des événements significatifs survenus après la date de clôture des comptes. Autre exemple, la masse des stocks ou des créances commerciales subit de fortes variations au cours d’une période lorsque l’exploitation n’est pas également répartie sur toute l’année ; dans ce cas, en lieu et place des chiffres à la clôture, il peut être plus pertinent de retenir la moyenne ou la médiane.





Eric Causin
Avocat au barreau de Bruxelles - Bailleux & Causin




Pour de plus amples informations en Droit Comptable, consultez la rubrique Fiches Pratiques (www.droit-comptable.be).





Source : DroitBelge.Net - Actualités - 23 juin 2006


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