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Conclusions: dépôt, communication et preuve

Par Philippe Forton

Jeudi 23.02.06

Du neuf en matière de dépôt et de communication de conclusions. Voilà qui est de nature à intéresser l’avocat.

Par son arrêt de la première chambre réunie en audience plénière du 9 décembre 2005, la Cour de cassation a rendu un arrêt de principe édictant :

« Que, lorsque le président ou le juge désigné par celui-ci a déterminé des délais pour conclure, la remise au greffe des conclusions et leur envoi simultané à la partie adverse doivent tous deux avoir lieu dans le délai fixé ; Que la seule remise des conclusions au greffe, sans envoi concomitant à la partie adverse de ces mêmes conclusions, ne satisfait pas aux exigences de la loi ; qu’il s’impose en pareil cas au juge d’écarter les conclusions même si elles ont été déposées au greffe dans le délai ».

Sur base de cette jurisprudence, il convient donc de déposer les conclusions au greffe et de les communiquer simultanément à la partie adverse.

La Cour confirme ainsi son arrêt du 20 décembre 2001 et semble mettre fin à une controverse opposant :

• ceux qui déduisaient de l’article 746 du Code judiciaire que le dépôt des conclusions au greffe vaut signification et qu’en conséquence la non communication à la partie adverse n’entraîne pas l’écartement des conclusions ;

• ceux qui, sur base du libellé de l’article 745 alinéa 1er du Code judiciaire, estiment que toutes conclusions doivent être adressées à l’autre partie en même temps qu’elles sont déposées au greffe.

Le dernier état de la jurisprudence de la Cour de cassation donne donc raison à ces derniers.

Une note très fournie écrite par Jacques Englebert est parue dans le Journal des Tribunaux et détaille les tenants et aboutissants de cette controverse (J.T. 2006, p. 4 et s.).

Sur le plan de la déontologie des avocats, rien de révolutionnaire. Le principe désormais consacré par l’arrêt du 9 décembre 2005 trouve en effet son pendant dans l’article 1er de la résolution du 12 mai 1987 sur la communication des conclusions et projet de conclusions (LB mai 87, 259) : « Les avocats doivent simultanément déposer et communiquer leurs conclusions conformément aux dispositions du Code judiciaire » (n° 374 Recueil).

Cet arrêt relance donc la délicate question de la preuve de l’envoi (simultané) des conclusions à la partie adverse (1).

La question est évoquée dans les conclusions du Ministère Public prises dans la procédure qui a engendré l’arrêt du 9 décembre 2005 : « Dès lors, l’application de la sanction de l’écartement dépendra le plus souvent de la demande formulée par une partie en mesure d’apporter la preuve par tous les moyens de droit de la date de la communication ».

Soyons pragmatiques et abordons les différents moyens de communication les plus utilisés.


a) L’envoi par la poste

L’article 745, alinéa 2 du Code judiciaire édicte une présomption légale selon laquelle la communication des conclusions est réputée accomplie 5 jours après l’envoi.

Mais quid en cas de contestation au niveau de la preuve de l’envoi ?

Rien de plus simple serait-on tenté de répondre. Il suffit d’envoyer les conclusions par recommandé, le cas échéant avec un accusé de réception pour éviter cet écueil. Toutefois, force est de constater que l’envoi recommandé est rarissime et se marie mal avec les usages déontologiques classiques (bien que rien ne l’interdise).

Une autre solution pratique réside dans l’envoi via des sociétés de courrier express qui veillent à obtenir un accusé de réception suite à la remise des conclusions.


b) La télécopie

Voilà bien l’un des modes habituels – sinon le mode par excellence - d’envoi de conclusions à la partie adverse permettant de s’en réserver la preuve. L’avantage réside dans la rapidité et dans le fait que ce mode de transmission délivre automatiquement un accusé de réception.

Sur le plan déontologique, évoluant avec son temps, une résolution du 26 janvier 1999 sur l’usage du télécopieur et du courrier électronique (LB 98-99, n° 3, 143) et le règlement du 21 octobre 2002 de l’OBFG (recueil n° 261-1) considèrent que l’usage du télécopieur ou du courrier électronique n’implique en soi aucune urgence (Recueil n° 336). Ce mode de communication est dès lors admis sans réserve et sur pied d’égalité avec l’envoi postal, même si les puristes diront qu’il convient de doubler cet envoi par une correspondance originale.

A cet égard, l’article 2281 du Code civil dispose que :

« Lorsqu’une notification doit avoir lieu par écrit pour pouvoir être invoquée par celui qui l’a faite, une notification faite par télégramme, par télex, par télécopie, par courrier électronique ou par tout autre moyen de communication, qui se matérialise par un document écrit chez le destinataire, est également considérée comme une notification écrite. La notification est également considérée comme écrite si elle ne se matérialise pas par un document écrit chez le destinataire pour la seule raison que celui-ci utilise un autre mode de réception. La notification est accomplie dès sa réception dans les formes énumérées à l’alinéa 1er. A défaut de signature au sens de l’article 1322, le destinataire peut, sans retard injustifié, demander au notifiant de lui fournir un exemplaire original signé. S’il ne le demande pas sans retard injustifié ou si, sans retard injustifié, le notifiant fait droit à cette demande, le destinataire ne peut invoquer l’absence de signature ».

Sur le plan légal, il y a donc égalité de traitement entre la correspondance postale, la télécopie et la correspondance électronique.

Reste toujours le danger d’une contestation au niveau de la preuve de l’envoi.

Le document de « transmis » suffit-il ?

En principe, cela ne pose pas de problème mais pour prévenir toute contestation, la prudence recommande de solliciter de la part de son confrère un accusé de réception.

La déontologie de l’avocat recommande spécialement de veiller à se ménager la preuve de la communication des conclusions, mémoire, note et pièces lorsque les délais ont été fixés par le juge en application des articles 747 et 748 du Code judiciaire (Recueil no 361).

Des résolutions du 9 décembre 1992 sur les règles déontologiques relatives au modifications au Code judiciaire introduites par la loi du 3 août 1992 (LB février 93, 221 et mai 93, 323) déclarent que : « manque à la confraternité l’avocat qui ne renvoie pas immédiatement à un confrère la copie signée pour réception de la lettre par laquelle celui-ci adresse des conclusions, mémoire ou pièces avec une demande de récépissé » (Recueil no 360).

Une confirmation par retour de fax constituera donc une sage précaution.

L’utilisation du terme « immédiatement » renforce l’idée selon laquelle les avocats doivent faciliter l’échange de conclusions entre eux et la preuve de cet échange.


c) Le courrier électronique

Les règles applicables en matière de télécopie s’appliquent mutatis mutandis en matière de courriel.

Ceci étant, cette « nouvelle » technologie n’est-elle pas la panacée à toute cette problématique de communication de conclusions et de preuve de celle-ci ?

Dans le commentaire relatif à la résolution du 26 janvier 1999 sur l’usage du télécopieur et du courrier électronique (LB 01-02, n° 4, 315), il est mentionné que : « le conseil veut favoriser l’usage d’internet dans les relations entre avocats et les clients tant pour être en phase avec les technologies actuelles que pour la facilité, la rapidité et l’économie qui en découlent » (Recueil no 336-1).

En un mot, il suffit pour un avocat d’envoyer les conclusions par courrier électronique et pour un autre, par un simple « clic », d’en accuser réception. Grâce au réseau internet, soyons désormais aussi pratiques que prudents.

De là à penser que l’arrêt de la Cour de cassation s’inscrit dans le projet Phénix, il n’y a qu’un « clic ».




Philippe Forton
Avocat au barreau de Bruxelles - Forestini



Note :

(1) C’est précisément parce que cette preuve pouvait poser problème dans la pratique que certains prônaient la thèse de la seule exigence du dépôt des conclusions au greffe.







Source : DroitBelge.Net - Actualités - 23 février 2006


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