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Comptablité des associations de copropriétaires

Par Eric Causin

Jeudi 22.09.05

1. Introduction:

La loi institue un régime de copropriété forcée des immeubles bâtis (articles 577-3 à 577-11 du Code civil) : les parties privatives (par exemple, les appartements) sont des propriétés individuelles, les parties communes (par exemple, le terrain et les halls) sont la copropriété des propriétaires individuels, les copropriétaires forment une association dotée de la personnalité juridique, la répartion des pouvoirs au sein de cette association ainsi que la gestion de celle-ci sont réglementées.

Toutefois, contrairement à la France, la loi belge ne réserve aucune disposition au régime comptable de ces associations. La pratique des associations de copropriétaires d'immeubles bâtis est, dès lors, variée et pas toujours sûre. Or, d'une part, le droit comptable contient des règles et des principes généraux applicables en matière de copropriété; d'autre part, l'intérêt individuel des copropriétaires et l'intérêt collectif de leur association commandent de soumettre leur comptabilité à un régime rigoureux.


2. Objet et fonctionnement d'une comptabilité de copropriété:

Dotée de la personnalité juridique, l'association des copropriétaires est un sujet de droit et, à ce titre, elle peut acquérir des biens, tant activement (des prérogatives patrimoniales) que passivement (des obligations patrimoniales). Pour éviter que les associations de copropriétaires deviennent des sociétés immobilières, la loi a limité leur droit d'acquisition aux meubles nécessaires à la conservation et à l'administration de l'immeuble. Même dans cette limite, cependant, toute association de copropriétaires est susceptible de disposer d'un patrimoine diversifié justifiant l'établissement périodique d'un bilan et d'un compte de résultats par la technique de la comptabilité en partie double.

A l'actif du bilan, on trouvera les dépenses d'investissement ("dépenses non périodiques") (par exemple, le prix du renouvellement d'une toiture), les créances envers les propriétaires, les placements de trésorerie et les liquidités. Au passif figureront les fonds propres (fonds de réserve et fonds de roulement) et les dettes (copropriétaires, organismes de crédit, fournisseurs ou autres).

L'association des copropriétaires devrait aussi disposer d'un compte de résultats annuels. En effet, l'association ne peut ni s'enrichir ni s'appauvrir. Or, même si elles sont utiles ou nécessaires à la conservation de l'immeuble, les "dépenses périodiques" (entretien et petites réparations) sont des charges, c'est-à-dire des sources d'appauvrissement du patrimoine de l'association, dans le sens où ces dépenses ne sont pas contrebalancées par l'acquisition de nouveaux biens durables ou par une augmentation de la valeur des biens durables existants. Pour empêcher cet appauvrissement, l'association doit répercuter ces charges sur les copropriétaires; ces charges sont donc compensées par des produits équivalents. Le compte de résultats a, précisément, pour objet de mettre ces charges et ces produits en évidence. En outre, les dépenses non périodiques doivent être annuellement amorties au titre de charges dans le compte de résultats, ce qui permet de planifier les appels au titre du fonds de réserve.


3. Avantages pratiques du bilan et du compte de résultats d'une copropriété:

L'établissement annuel d'un compte de bilan et d'un compte de résultats par la technique de la comptabilité en partie double, offre de multiples avantages: notamment, elle permet de suivre l'histoire des investissements, de connaître à tout moment l'état des créances et des dettes, et de pouvoir mesurer objectivement les montants qu'il convient de prévoir pour le fonds de réserve et pour le fonds de roulement.

Ces différents avantages révèlent leur intérêt pratique en diverses circonstances. Ainsi:

• En raison des ses qualités techniques, la comptabilité peut valoir à titre de preuve par présomption, notamment dans les relations entre la copropriété et les copropriétaires, lorsqu'il s'agit de justifier le montant des dettes de la copropriété. Le montant des dettes de la copropriété, en effet, se trouve prouvé par le simple fait que le total des fonds propres et des dettes est égal au total de l'actif du bilan.

• Il en va de même lorsque la copropriété doit justifier, vis-à-vis des copropriétaires, le montant des dépenses périodiques. A nouveau, les qualités techniques de la comptabilité permettent de montrer instantanément qu'aux dettes envers les fournisseurs ou autres correspondent, d'une part, des dépenses d'investissement et, d'autre part, pour la différence, les dépenses périodiques.

• Lorsque, comme le veut la loi, le notaire instrumentant la transmission de la propriété d'un lot, demande à la copropriété de lui communiquer le relevé de certaines dettes non exigibles, ce relevé sera facile à produire puisqu'il s'agira d'un simple extrait du bilan et, surtout, il sera probant puisque son montant total se justifiera, comme l'élément d'un puzzle, par sa place dans ce bilan.

• En cas de transmission de la propriété d'un lot, la loi fait une importante distinction: le copropriétaire sortant est créancier de sa part dans le fonds de roulement, mais pas dans le fonds de réserve, ce dernier servant à financer les dépenses non périodiques, c'est-à-dire les investissements. Les copropriétaires ont, de ce point de vue, un intérêt légitime à ce que le fonds de réserve soit maintenu à un niveau aussi bas que possible. Par contre, du point de vue de la bonne gestion de l'immeuble et dès lors aussi de la valeur vénale des lots, les copropriétaires ont également intérêt à procéder aux investissements utiles, donc à alimenter le fonds de réserve. La comptabilité en partie double contribue efficacement à l'équilibre pratique de ces intérêts contradictoires: en effet, comme tous les investissements sont répertoriés à l'actif du bilan et progressivement amortis, on peut suivre l'histoire de chaque euro investi et, sur cette base, planifier à la fois les investissements futurs et le fonds de réserve correspondant.

• Enfin, en cas de litige porté devant les tribunaux, seule une comptabilité en partie double permet de produire un ensemble d'informations et de justifications complet et cohérent, ce qui est de nature à simplifier significativement le débat judiciaire.


4. Inconvénients et limites de la comptabilité:

Le principal inconvénient de la comptabilité en partie double est sa technicité. Il est impossible d'utiliser cet outil sans disposer d'une connaissance technique minimale. En outre, le coût du recours à cette technique peut s'avérer disproportionné par rapport à ses avantages considérés concrètement. Par exemple, dans un immeuble comptant 3 copropriétaires et 10 factures par année, une simple conversation de quelques minutes suffira pour déterminer les droits et obligations de chacun, et pour arrêter les mesures de gestion des parties communes. Par contre, dans les copropriétés plus importantes, cet inconvénient ne fait pas le poids. La technique est simple à assimiler, les outils informatiques ne sont pas coûteux et ils simplifient considérablement le travail d'enregistrement comptable. En pareils cas, l'absence d'une comptabilité en partie double, ainsi que d'un bilan et d'un compte de résultats annuels, est une lacune importante qui, le jour venu, pourra être sanctionnée à titre de faute.

La comptabilité, néanmoins, comporte des limites intrinsèques qu'il convient de connaître pour que, en cas de discussion ou de contestation, le débat puisse porter sur les points faibles du système. Ainsi:

• La comptabilité ne sera pertinente que si le plan comptable a été bien conçu, de façon appropriée aux caractéristiques économiques et juridiques de la copropriété.

• Toute écriture comptable doit reposer sur une pièce, une pièce externe (exemple: une facture) pour les écritures correspondant à des décaissements ou à des encaissements, une pièce interne pour les écritures correspondant à des ajustements de valeur (exemple: amortissement).

• L'enregistrement comptable ne sera correctement réalisé que si les pièces sont correctement interprétées et qualifiées. Par exemple, il ne faut pas confondre une dépense périodique (charge) et une dépense non périodique (immobilisation). Ce travail demande des compétences techniques pour les cas les plus difficiles (en fait exceptionnels en matière de copropriété). En outre, parfois, la qualification prête à discussion et laisse une marge d'appréciation.

• Enfin, une comptabilité formellement parfaite peut contribuer à cacher des fraudes ou des légèretés, telles que des fausses factures, des paiements indus, des dépenses inutiles, etc.


5. Conclusion:

Hormis le cas des très petites copropriétés générant peu de dépenses, la comptabilité en partie double, assortie chaque année d'un bilan et d'un compte de résultats, est un outil utile et nécessaire pour la bonne gestion d'une copropriété.

Ses avantages sont multiples, bien supérieurs aux coûts correspondants. En outre, en cas de discussion ou de contestation, la comptabilité permet de faire l'économie d'une série de querelles ou de suspiçions et de faire porter le débat sur des questions de fond.

La comptabilité en partie double est une obligation légale en France. Elle ne l'est pas en Belgique, mais les principes généraux du droit et le comportement normalement prudent et diligent que l'on peut attendre d'un syndic, justifieraient que la doctrine et la jurisprudence reconnaissent que son défaut est constitutif de faute, à tout le moins lorsque, en cas de litige, les comptes produits font apparaître des lacunes importantes.


6. Pour en savoir plus:

• France: Arrêté du 14 mars 2005 relatif aux comptes du syndicat des copropriétaires, pris en exécution du décret n° 2005-240 du même jour.

• France: CORDIER, D., Travaux et comptabilité de la copropriété, Paris, Dalloz, Encycl. Delmas, 2ième éd., 1999.

• Belgique: CAUSIN, E., Droit comptable de l'association des copropriétaires d'un immeuble bâti, in X. (sous la direction de: MERCKEN, D., DE PAGE, P., MERCKEN, T., DE STEFANI, I.), La copropriété forcée des immeubles ou groupes d'immeubles bâtis, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 68-106.




Eric Causin
Avocat au barreau de Bruxelles - Bailleux & Causin



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