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L'achat sous condition suspensive d'obtention d’un crédit

Par Laurent Collon

Lundi 14.02.05

La plupart des acquisitions immobilières se concluent sous la condition de l’octroi d’un crédit au profit de l’acquéreur.

Nombreux sont ceux qui croient que la stipulation d’une telle condition permet précisément aux acquéreurs d’agir comme bon leur semble, et donc de se défiler.

Rien n’est plus faux, ce que les juridictions rappellent régulièrement.


Qu’est-ce qu’une condition suspensive ?

Le Code civil précise que « l'obligation contractée sous une condition suspensive est celle qui dépend (…) d'un événement futur et incertain (…) ».

Tel est le cas de l’octroi d’un crédit : ce dernier n’est (généralement) pas encore accordé le jour où vendeur et acquéreur concluent leur accord (sinon il ne s’agirait pas d’un événement futur et incertain…) et ne le sera que pour autant que l’organisme sollicité y consente, ce qui n’est pas encore acquis.

L’obligation d’achat ne pourra être exécutée qu’une fois le prêt accordé à l’acquéreur, pour autant qu’il le soit.


Un véritable engagement

Le Code civil précisant que l’engagement assorti d’une condition ne peut être poursuivi qu’une fois la condition levée, nombre d’acquéreurs pensent que rien ne peut leur arriver tant qu’ils n’ont pas obtenu leur crédit, ce à quoi ils peuvent éventuellement veiller …

Une telle croyance est particulièrement dangereuse.

La Cour de cassation a en effet précisé, dans un arrêt du 5 juin 1981, que « la convention stipulant une obligation contractée sous condition suspensive existe tant que la condition est pendante, même si l'exécution de l'obligation est suspendue ; elle fait, dès lors, naître des droits et des obligations entre parties (…) ».

Sur la base de cette jurisprudence, nos cours et tribunaux jugent massivement que la condition suspensive doit être considérée comme levée – bien que ne l’étant pas effectivement – lorsque la partie qui s’est engagée sous cette condition, en l’occurrence l’acquéreur, n’a pas mis tout en œuvre pour qu’elle le soit.

Il en est ainsi si l’acquéreur n’introduit pas véritablement de demande de crédit, ne présente pas les éléments favorables de sa situation au mieux de ses intérêts, n’adresse sa demande qu’à un seul organisme de crédit, ou néglige d’introduire une demande auprès d’une deuxième (ou davantage) institution après avoir essuyé un premier refus, et ce alors que le délai repris dans la clause est loin d’être expiré et qu’il dispose donc largement du temps matériel pour introduire une ou des nouvelle(s) demande(s), …

C’est ainsi que le tribunal de première instance de Bruxelles a, dans une décision du 5 mars 2004, stigmatisé l’attitude d’un couple d’acquéreurs qui, pour tenter d’échapper à leurs obligations, avaient fait valoir qu’ils n’avaient pas obtenu leur prêt.

Pour ce faire, ils avaient communiqué à leur vendeur un document, apparemment établi par un organisme financier, qui stipulait qu’il était au regret de devoir les informer « que l’affaire n’est réalisable que moyennant garantie(s) supplémentaire(s) à accepter par notre société ».

Le tribunal écarta ce document comme preuve d’un refus d’octroi de crédit, aux motifs, notamment, qu’il n’établit ni que ce sont les acquéreurs qui sont demandeurs du prêt, ni la nature de celui-ci, ni son montant, alors que la clause du compromis de vente imposait ces précisions.

En outre, le tribunal releva qu’il ne pouvait être déduit des termes utilisés dans le document qu’il s’agit d’un refus de prêt, étant plus vraisemblablement une invitation à fournir des garanties supplémentaires dans le cadre d’une poursuite des négociations.

Le tribunal en conclut que ce document ne suffît pas à établir que les époux acquéreurs ont entrepris toutes les démarches utiles (par exemple fournir les garanties supplémentaires sollicitées par l’organisme de crédit) pour obtenir un prêt.

La vente fut dès lors résolue aux torts des acquéreurs, qui furent condamnés à abandonner l’acompte au profit de leur vendeur.


Prudence donc !

La plus grande prudence s’impose donc en cette matière particulièrement délicate.

En aucun cas, il ne peut être considéré que la condition suspensive constitue une porte de sortie en faveur de l’acquéreur au cas où il prendrait la décision de ne plus acheter.

Si le vendeur, puis le tribunal, constatent qu’il n’a pas fait tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir le crédit, la sanction tombera sur lui comme un couperet : la vente sera résolue à ses sorts, et il devra abandonner une indemnité généralement fixée au montant de l’acompte versé, et ce sans compter les intérêts et les frais de justice !




Laurent Collon
Avocat au barreau de Bruxelles - Xirius.
Spécialiste agréé en droit immobilier




Source : DroitBelge.Net - Actualités - 14 février 2005


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