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La vente conjointe de produits de télécommunication bientôt autorisée ?

Par Maxime Le Borne

Mardi 08.02.05

UPDATE 23.04.09: voir l'article : "La réglementation belge des offres conjointes viole le droit européen"

La Belgique reste un des seuls pays européens à interdire la vente conjointe de produits ou services.

La convergence dans les domaines des télécommunications, des médias et de l’informatique favorise toutefois le développement d’offres conjointes combinant, par exemple, téléphonie fixe, téléphonie par internet, ADSL et GSM (1).

Un amendement au projet de loi [UPDATE CF. CI-DESSOUS] relatif aux communications électroniques a été récemment déposé en vue de permettre, pour un prix global avantageux, l’offre conjointe de produits et services offerts par le biais d’une technologie intégrée, par les vendeurs opérant dans le secteur des technologies de la communication, de l’information et des médias.

Les produits et services visés sont les suivants: services de téléphonie, internet, TV et/ou produits interactifs intermédiaires.


Rappel des principes : l’interdiction de l'offre conjointe

Selon l’article 54 al 1 de la loi sur les pratiques du commerce, l'information et la protection du consommateur (ci-dessous "LPC"), "il y a offre conjointe (…) lorsque l'acquisition, gratuite ou non, de produits, de services, de tous autres avantages, ou de titres permettant de les acquérir, est liée à l'acquisition d'autres produits ou services, même identiques."

En vertu de l'article 54 al.2 LPC, l'offre conjointe est interdite:

"Sauf les exceptions précisées ci-après, toute offre conjointe au consommateur effectuée par un vendeur est interdite".


Les exceptions

L'article 55 LPC prévoit notamment une exception pour l’offre conjointe pour un prix global (2) de produits ou des services différents qui constituent un ensemble.


La notion d’ensemble

La notion d'ensemble n'est pas définie dans la loi. Il y a donc lieu de se référer aux travaux de la doctrine et à la jurisprudence pour déterminer si des produits ou services peuvent être considérés comme un ensemble.

Comme précisé par la chambre des représentants lors des travaux préparatoires de la LPC, "la notion d'ensemble relève des usages commerciaux et fait l'objet d'une appréciation, par le juge, dans chaque cas d'espèce qui lui est soumis."


Exemples de jurisprudence

"Une vidéo et un magnétoscope ne constituent pas un ensemble autorisé" (Comm. Bruxelles, Prés., 6 janvier 1989, Ann.Prat. Comm., 1989, p. 143.).

"Un ensemble implique que ses parties ne sont pas susceptibles d'être vendues séparément" (Comm. Hasselt, prés., 20 janvier 1992, Credoc, 07/93, p. 22).

"L'offre d'un appareil GSM à un prix inférieur si un abonnement GSM est acquis en même temps, constitue une offre conjointe interdite (Prés. Comm. Termonde, 20 sept. 2000, Ann. Prat. Comm. et Conc., 2000, p. 356).

"L'offre conjointe d'un PC et d'un GSM constitue une infraction à la LPC. Cette offre ne peut être qualifiée comme un ensemble de produits exonéré de l'interdiction d'offre conjointe s'il n'est pas démontré qu'il est habituel d'offrir en vente, d'acheter et d'utiliser lesdits produits ensemble". (Prés. Comm. Bruxelles, 14 février 2001, Ann.Prat. Comm. et Conc., 2001, p. 340).

"Un GSM et un abonnement ne forment pas un ensemble. Un ensemble au sens de la LPC suppose que les éléments ne soient pas susceptibles d'un traitement séparé ou ne soient pas habituellement traités séparément. Or, un GSM et un abonnement peuvent être achetés séparément, et c'est ce qui se passe le plus souvent". (Gand, 8 novembre 2001, D.C.C.R., 2002, liv. 55, p. 82).

"L'annonce d'une réduction de prix à l'achat conjoint d'une télévision et d'un magnétoscope est une offre conjointe interdite. Pour qu'il y ait ensemble au sens de la LPC, il faut qu'il y ait une habitude dans le chef du consommateur d'acheter les composantes ensemble." (Prés. Comm. Courtrai , 15 décembre 1997, Ann.Prat. Comm., 1997, 340).


Synthèse de la notion

La notion d'ensemble peut être synthétisée de la manière suivante:

- (1) Il est normal de vendre groupés les éléments de l'offre, et
- (2) Il est d'usage d'offrir les produits groupés, étant entendu que les usages peuvent évoluer, et
- (3) Les produits groupés relèvent de la même branche commerciale et industrielle.

Dans la mesure où il n’est pas d’usage, par exemple, de vendre un accès à internet et un abonnement de GSM, une telle offre sera, a priori, considérée comme illicite.


L’amendement au projet de loi relatif aux communications électroniques

L’amendement propose de considérer l’offre conjointe de certains produits ou services comme un ensemble légalement autorisé:

Les services et produits suivants seront réputés constituer un ensemble au sens de l’article 55, 1°, de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l’information et la protection du consommateur (LPC), de sorte qu’il est permis de les offrir conjointement pour un prix global avantageux, c’est-à-dire à un prix inférieur au total des prix respectifs de chaque service ou produit: services de téléphonie, internet, TV et/ou produits interactifs intermédiaires, offerts, par le biais d’une technologie intégrée, par les vendeurs opérant dans le secteur des technologies de la communication, de l’information et des médias.

Ces services et/ou produits interactifs intermédiaires peuvent être offerts conjointement à condition de remplir cumulativement les conditions suivantes:

a. sauf pour les produits et services nouveaux, tout produit et tout service doit, du moins pendant toute la durée de l’offre, être disponible séparément et à son prix normal dans le même établissement, c’est-à-dire à son prix habituel au sens de l’article 43 de la LPC;

b. le consommateur doit être clairement informé du prix de chaque produit ou service pris séparément, ainsi que de l’avantage en termes de prix;

c. l’offre conjointe doit offrir au consommateur un avantage en termes de prix par rapport aux produits ou services offerts individuellement. Il doit s’agir d’un avantage déterminé ou déterminable au moment de l’achat;

d. toute annonce relative à l’offre conjointe et tout titre permettant d’obtenir l’avantage qui en découle, doit mentionner l’éventuelle limite de la durée de validité, les conditions et toute autre modalité de l’offre;

e. lorsque des produits et/ou services sont offerts conjointement, le délai maximum autorisé durant lequel le consommateur est lié est fixé à un an, dans le respect des éventuelles dispositions légales spécifiques et pour autant que la résiliation se fasse dans les délais impartis. L’application d’une sanction rétroactive en cas de résiliation par le consommateur est exclue. L’avantage reste maintenu pour le consommateur jusqu’au moment de la résiliation».



Les auteurs de l’amendement justifient cet assouplissement de la LPC sur base des éléments suivants :

- D’un point de vue technique, il est de plus en plus difficile de proposer des services de télécommunication différents et néanmoins convergents.

- Les fournisseurs de services de télécommunication sont lésés par rapport aux fournisseurs d’autres états membres qui peuvent proposer plus facilement des services convergeants. L’interdiction de la vente conjointe pourrait potentiellement être contournée en vendant des produits via les pays voisins qui possèdent des réglementations plus souples.

- Cet assouplissement ne doit pas être considéré comme une menace pour les petits distributeurs : vu la complexité des services convergeants, aides et conseils devront être prodigués au consommateur. Le détaillant disposera d’un avantage par rapport à la grande distribution.

Issu d’un accord politique qui semble encore fragile, il reste à voir si cet amendement tiendra dans les semaines à venir. La “loi télécoms” devrait être votée aux alentours de Pâques (3).

[UPDATE]: L'amendement a été adopté.

L'article 112 de la loi du 12 juin 2005 relative aux communication électroniques:

Art. 112. Les produits et les services suivants constituent un ensemble au sens de l'article 55, 1°, de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, de sorte qu'il est permis de les offrir conjointement à un prix total avantageux : les services téléphoniques, internet, télévisuels et/ou les produits intermédiaires interactifs, offerts au moyen d'une technologie intégrée par des vendeurs actifs dans le domaine des technologies des télécommunications, de l'information et des médias. Ces services et/ou produits intermédiaires interactifs peuvent être offerts conjointement moyennant le respect cumulé des conditions suivantes :
1° tant que l'offre est valable, chaque produit et chaque service doit pouvoir être acquis séparément et a son prix habituel dans le même établissement;
2° le consommateur doit être clairement informe du prix de vente de chaque produit ou de chaque service ainsi que de l'avantage relatif au prix;
3° l'offre conjointe doit permettre au consommateur de bénéficier d'un avantage par rapport aux produits ou services proposés séparément. Il doit s'agir d'un avantage déterminé ou déterminable au moment de l'achat;
4° toute indication relative à l'offre conjointe et tout titre permettant d'acquérir l'avantage qui en découle doivent mentionner la limite eventuelle de leur durée de validité, les conditions ainsi que toutes autres modalités de l'offre;
5° en cas d'offre conjointe de produits et/ou services, le consommateur ne peut être lié par un contrat que pendant une période d'un an au maximum, dans le respect des éventuelles dispositions légales spécifiques et pour autant que la résiliation ait lieu en temps voulu. L'application d'une sanction rétroactive en cas de résiliation par le consommateur est exclue. L'avantage est acquis au consommateur jusqu'au moment de la résiliation.[/UPDATE]




Maxime Le Borne
Juriste




Notes :

(1) Par exemple, l’opérateur Scarlet One propose une offre qui associe téléphonie, ADSL et abonnement GSM, contre laquelle Belgacom a porté plainte (Source: Lalibre.be)
(2) Il y prix global dès lors qu'un prix, si minime soit-il, est demandé par le vendeur au consommateur pour l'offre subsidiaire de produits.
(3) Source : www.astel.be


Source : DroitBelge.Net - Actualités - 8 février 2005


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