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Consécration du principe de la répétibilité des honoraires des avocats

Par Par Maxime Le Borne

Mercredi 08.09.04

"Les honoraires et frais d'avocat ou de conseil technique exposés par la victime d'une faute contractuelle peuvent constituer un élément de son dommage donnant lieu à indemnisation dans la mesure où ils présentent [un] caractère de nécessité"

L'arrêt de la Cour de cassation du 2 septembre 2004 consacre par cette phrase le principe selon lequel, en matière contractuelle, les frais d'avocat et des conseils techniques peuvent faire partie de l'indemnisation de la victime.

Les honoraires des avocats et des conseils techniques ne peuvent toutefois être considérés comme des frais et dépens au sens des articles 1017 à 1022 du Code judiciaire.

Il s'agit en effet d'éléments du dommage causé à la victime par les manquements contractuels imputés à l'autre partie.

S'agissant du domaine de la responsabilité contractuelle, les articles 1149 à 1151 du Code civil s'appliquent.

En conséquence, en application de l'article 1151 du Code civil (art. 1151: "Dans le cas même où l'inexécution de la convention résulte du dol du débiteur, les dommages et intérêts ne doivent comprendre, à l'égard de la perte éprouvée par le créancier et du gain dont il a été privé, que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution de la convention), les dommages et intérêts dus au créancier ne doivent comprendre que ce qui est une suite nécessaire de l'inexécution de la convention.

Les honoraires et frais d'avocat ou de conseil technique exposés par la victime d'une faute contractuelle constitueront un élément de son dommage donnant lieu à indemnisation uniquement dans la mesure où ils présentent ce caractère de nécessité.

Il appartient donc au juge d'apprécier si les honoraires de l'avocat ou du conseil technique constituent un élément du dommage de la victime et s'ils ont été rendus nécessaires par l'inexécution de la convention.


Nous reproduisons ci-dessous le texte de l'arrêt de la Cour de cassation du 2 septembre 2004:



COUR DE CASSATION DE BELGIQUE - 2 septembre 2004 (ARRET N° C.01.0186.F)


1. A. A.,
2. M. C.,

demandeurs en cassation,

représentés par Maître Cécile Draps, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, boulevard Emile de Laveleye, 14, où il est fait élection de domicile,

contre

1. R. M. et
2. W. M.-C.,

défendeurs en cassation,

représentés par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Charleroi, rue de l'Athénée, 9, où il est fait élection de domicile.

I. La décision attaquée

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 2 novembre 2000 par la cour d'appel de Liège.

II. La procédure devant la Cour

Le président de section Claude Parmentier a fait rapport.
L'avocat général André Henkes a conclu.

III. Le moyen de cassation

Les demandeurs présentent un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- articles 1146 à 1153 du Code civil ;
- articles 1017 à 1022 du Code judiciaire.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt attaqué condamne in solidum les demandeurs à payer aux défendeurs la somme d'un franc provisionnel en réparation du dommage résultant des frais et honoraires de leur conseil juridique dépassant les indemnités de procédure, à majorer des intérêts au taux légal depuis le 2 novembre 2000, et condamne le premier demandeur à payer aux défendeurs la somme de 131.470 francs (frais et honoraires des conseils techniques B.C.T. et H. en relation avec les désordres au coin nord-ouest du bâtiment), à majorer des intérêts compensatoires au taux légal depuis les dates des décaissements jusqu'au 2 novembre 2000, puis des intérêts moratoires au taux légal jusqu'au complet paiement, aux motifs :

"qu'en matière de responsabilité contractuelle, c'est le principe de la réparation intégrale du dommage qui s'applique : il importe de replacer le créancier, victime de l'inexécution fautive, dans une situation aussi proche que possible de ce qu'elle aurait été, si le débiteur s'était parfaitement acquitté de son obligation (...) ;

(...) que dans le respect des dispositions légales et dans les limites des conclusions échangées entre les parties, le juge apprécie souverainement tant l'existence que l'importance du dommage, et notamment si, dans un cas particulier, les honoraires d'avocat et de conseiller technique auxquels les (défendeurs) ont fait appel peuvent ou non entrer dans la détermination du dommage à réparer ;

(...) que toutes les conséquences préjudiciables d'une faute ou d'une négligence répréhensible sont appelées à être réparées ;

A. Les frais du conseil juridique

(...) que le fait pour les (défendeurs) de devoir prélever sur les indemnités allouées (...) le montant des honoraires de leur avocat a pour effet de diminuer à due concurrence l'intégralité de la réparation de leur dommage ;

que les honoraires de l'avocat ont trouvé leur cause nécessaire (même si elle est indirecte) dans les fautes ayant donné lieu à l'instance en réparation (...) ;

qu'il est évident que si le dommage à réparer ne s'était pas produit, les (défendeurs) n'auraient pas dû, comme en l'espèce, recourir à l'assistance d'un avocat pour obtenir réparation du dommage ;

que face aux désordres constatés à leur immeuble et à la nature difficilement décelable de ceux-ci, ils n'auraient pu se passer du concours d'un avocat chargé d'assurer la défense de leurs intérêts en justice et plus spécialement dans le cadre de l'expertise judiciaire et ce aux fins d'obtenir la juste réparation de leur dommage ;

qu'au vu des multiples prestations accomplies - rendues nécessaires par la complexité de la cause (requête en remplacement d'expert fort motivée, descente sur les lieux avec le premier juge, étude des documents des conseillers techniques de ses clients, participation aux opérations d'expertise et rédaction de notes de faits directoires) - par l'avocat des (défendeurs), il est clair que le forfait légal que constituent les indemnités de procédure (d'instance et d'appel) doit être jugé, en l'espèce, tout à fait insuffisant ;

que dans le cas présent, vu la complexité de la cause, il doit être admis qu'un montant de frais et honoraires (dépassant les indemnités de procédure) fait partie intégrante du dommage des (défendeurs) en relation de causalité nécessaire avec les fautes commises par les (demandeurs) ;

qu'il y a lieu d'allouer aux (défendeurs) un franc provisionnel, soit ce qu'ils demandent, en réparation de ce dommage dont l'évaluation devra être raisonnable et appréciée suivant la complexité de la cause sur le plan technique dans le cadre de l'expertise judiciaire ;

qu'il y a lieu de relever que les (défendeurs) ne donnent aucune évaluation définitive de leur dommage et qu'ils ne sollicitent nullement qu'il soit réservé à statuer sur le surplus de leur demande chiffrée à un franc provisionnel ;

B. Les frais des conseils techniques

(...) que les (défendeurs) sollicitent le remboursement des frais et honoraires des conseils techniques auxquels ils ont dû recourir ;

(...) que ces frais et honoraires s'élèvent à :

- 7.020 francs (expert immobilier D.)
- 104.622 francs (ingénieur-architecte H.)
- 79.159 francs (bureau d'ingénieurs B.C.T.) ;

(...) que les frais de l'expert immobilier D. qui a rédigé un rapport succinct clichant les désordres dont l'immeuble était affecté n'étaient nullement indispensables pour rechercher la responsabilité (des demandeurs) et les mettre en demeure d'y remédier : un simple dossier photographique aurait suffi ;

que les constatations de cet expert font double emploi avec celles de l'expert judiciaire G., et n'ont dès lors présenté aucune utilité en la présente cause ;

que ces frais resteront à charge des (défendeurs) ;

(...) que les autres frais exposés par lesdits (défendeurs) constituent, in concreto et en partie, un élément de leur dommage : (qu') en effet, ils ont été indispensables dans la mesure où l'expert judiciaire (qui s'accrochait initialement à deux hypothèses à l'origine des désordres constatés au coin nord-ouest de l'immeuble : soit le Té fêlé, soit l'assèchement du terrain suite à la construction du tunnel de Cointe) a dû se pencher de façon sérieuse sur une troisième hypothèse mise en évidence par les conseils techniques B.C.T. et H., laquelle s'est avérée être finalement la bonne au fil des investigations et des constatations faites par l'expert sur l'évolution des fissures ;

que, sans ces frais, l'expert judiciaire n'aurait peut-être pas envisagé cette hypothèse de recherche dans les désordres constatés et l'incertitude aurait demeuré quant à la cause exacte des fissures, avec pour conséquence l'impossibilité pour les (défendeurs) d'obtenir la juste réparation, à charge du (premier demandeur), de leur dommage ; que sans la faute de celui-ci dans la conception des fondations au coin nord-ouest du bâtiment à construire qui tentait de convaincre l'expert judiciaire de la véracité des deux autres hypothèses rappelées ci-avant -, les (défendeurs) n'auraient pas dû demander au bureau B.C.T. et à Madame H. de se livrer à une étude approfondie sur la cause des désordres susdits qui est à l'origine de la dernière hypothèse (phénomène de 'creep' et de tassement) ;

que ces éléments de réflexion ont permis à l'expert judiciaire de déterminer plus facilement la cause exacte des désordres au coin nord-ouest de l'immeuble et les remèdes à y apporter ;

qu'ils ont donc permis à l'expert de mener à bien la mission qui lui fut confiée par le premier juge, laquelle fut rendue nécessaire par les fautes des (demandeurs) ;

que, sans ces éléments de réflexion, il y aurait eu sinon une incertitude concernant la cause exacte des fissures avec pour conséquence l'absence de réparation intégrale du préjudice résultant de la faute (du premier demandeur), à tout le moins des prestations complémentaires de l'expert sur l'étude du 'creep' justifiant un état de frais et honoraires plus élevé qui ne l'a pas été grâce à l'intervention des conseils techniques des (défendeurs) ;

que les frais du bureau B.C.T. (79.159 francs) se rapportent exclusivement à la détermination de la cause exacte des fissures ;

que ces frais ainsi que ceux du conseil technique H. qui sont (en) relation avec cet aspect du problème font partie intégrale du dommage subi par les (défendeurs) ;

que les frais de l'expert H. peuvent être admis à concurrence de la moitié, soit 52.311 francs, les autres frais étant liés aux autres désordres constatés (humidité des murs du garage et bistrage de la cheminée) et n'ayant pas été utiles à l'expert judiciaire dans l'accomplissement de sa mission ;

(...) que, partant, (le premier demandeur) doit supporter au titre de frais de conseils techniques la somme totale de 131.470 francs (52.311 francs + 79.159 francs) à majorer des intérêts compensatoires depuis les dates des décaissements jusqu'au présent arrêt, puis des intérêts moratoires au taux légal jusqu'au complet paiement ".

Griefs

En règle, le recours à l'intervention d'un conseil technique ou juridique par la victime d'une faute contractuelle a uniquement pour objet l'assistance de cette victime dans la demande en réparation du dommage causé par la faute ;

les honoraires de tels conseils ne sont pas, au sens des articles 1146 et 1153 du Code civil, un élément de ce dommage et ne peuvent, partant, être mis à charge de l'auteur de la faute.

Si le juge apprécie en fait et, dès lors, de manière souveraine, dans les limites des conclusions des parties, l'existence et l'importance du dommage et notamment si, dans un cas particulier, les frais de désignation d'un expert et d'un conseil constituent un élément du dommage, une telle exception à la règle ne peut être déduite de la circonstance que, sans les fautes relevées à charge des demandeurs ou du seul premier demandeur, les défendeurs n'auraient pas dû se faire assister par des conseils techniques et juridique, que la complexité de la cause et, spécialement, la nature difficilement décelable des désordres dont leur immeuble était affecté avaient rendu nécessaires les multiples prestations accomplies par leur conseil aux fins d'obtenir la juste réparation de leur dommage et que, sans la mise en évidence par les conseils techniques des défendeurs d'une hypothèse qui s'était révélée finalement la bonne, l'expert judiciaire ne l'aurait peut-être pas envisagée ;

il s'agit là uniquement de prestations relatives à l'assistance de la victime dans la défense de ses intérêts ne pouvant donner lieu à indemnisation.

Les honoraires des conseils techniques et des avocats ne sont pas davantage des frais et dépens au sens des articles 1017 à 1022 du Code judiciaire et ne peuvent, partant, être mis à charge de la partie qui a succombé.

L'arrêt attaqué viole, partant, les articles 1146 à 1153 du Code civil, spécialement son article 1147, et 1017 à 1022 du Code judiciaire.


IV. La décision de la Cour

Attendu que l'arrêt ne considère pas les honoraires des avocats et des conseils techniques comme des frais et dépens au sens des articles 1017 à 1022 du Code judiciaire mais comme un élément du dommage qui a été causé aux défendeurs par les manquements contractuels imputés à l'un ou l'autre des demandeurs ;

Attendu qu'en vertu de l'article 1149 du Code civil, en cas d'inexécution fautive d'une obligation contractuelle, le débiteur de l'obligation doit entièrement répondre de la perte subie par le créancier et du gain dont celui-ci a été privé, sous réserve de l'application des articles 1150 et 1151 du Code civil ;

Qu'en application de l'article 1151 de ce code, les dommages et intérêts dus au créancier ne doivent comprendre que ce qui est une suite nécessaire de l'inexécution de la convention ;

Que les honoraires et frais d'avocat ou de conseil technique exposés par la victime d'une faute contractuelle peuvent constituer un élément de son dommage donnant lieu à indemnisation dans la mesure où ils présentent ce caractère de nécessité ;

Attendu que, par les motifs que reproduit le moyen, l'arrêt considère que tant les frais et honoraires de l'avocat que ceux des conseils techniques auxquels les défendeurs ont dû faire appel constituent concrètement, dans les limites qu'il précise, un élément de leur dommage et qu'ils ont été rendus nécessaires par l'inexécution de la convention ;

Qu'ainsi l'arrêt décide légalement que les demandeurs sont tenus à la réparation du dommage "résultant des frais et honoraires de leur conseil juridique dépassant les indemnités de procédure" et que le premier demandeur est tenu à la réparation du dommage résultant des frais et honoraires de deux de leurs conseils techniques en relation avec certains des désordres constatés dans l'immeuble;

Que le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Rejette le pourvoi ;

Condamne les demandeurs aux dépens.

Les dépens taxés à la somme de quatre cent quatre-vingt-deux euros trois centimes envers les parties demanderesses et à la somme de deux cent nonante-neuf euros trente-huit centimes envers les parties défenderesses.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Ivan Verougstraete, le président de section Claude Parmentier, les conseillers Christian Storck, Didier Batselé et Philippe Gosseries, et prononcé en audience publique du deux septembre deux mille quatre par le président Ivan Verougstraete, en présence de l'avocat général André Henkes, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.





Photo: Aaron Bailey


Source : DroitBelge.Net - 9 septembre 2004


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