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Aspects légaux et déontologiques des tombolas et concours

Par Par Richard Byl

Mardi 06.07.04


I. ENJEU

Le marketing direct n'échappe pas à la règle : prendre en considération la nature humaine pour mieux réussir ses opérations promotionnelles. La fascination pour les jeux de hasard et l'esprit de compétition font incontestablement partie des traits (travers ?) fondamentaux de la personnalité humaine. A première vue, le jeu de hasard (axé sur la chance) et la compétition (axée sur la performance) sont deux démarches diamétralement opposées. Dans la réalité pourtant, elles s'entremêlent bien souvent au point qu'il est parfois très difficile de faire la différence …

Or, leurs régimes juridiques sont totalement distincts !

D'où l'importance de bien situer le contexte légal respectif des tombolas et des concours.


II. CONTEXTE LEGAL


LES TOMBOLAS ET JEUX DE HASARD

Les tombolas ou loteries publicitaires font exclusivement appel au hasard pour déterminer les gagnants, aucune participation active n'étant demandée aux joueurs dans le déroulement des opérations. Le principe est l'interdiction pure et simple (article 301 Code pénal : "sont réputées loteries, toutes opérations offertes au public et destinées à procurer un gain par la voie du sort").

Cette interdiction est applicable non seulement lorsqu'elles sont liées à un achat, mais également lorsqu'elles sont offertes gratuitement sans obligation d'achat et sans mise particulière.

Toutefois, une exception légale est prévue en faveur des "loteries exclusivement destinées à des actes de piété ou de bienfaisance, à l'encouragement de l'industrie ou des arts ou à toute autre but d'utilité publique, lorsqu'elles auront été autorisées…". Cette dérogation permet à une trentaine d'associations sans but lucratif dûment autorisées par le Ministère de l'Intérieur, d'organiser des tombolas et de les revendre par tranches à des entreprises commerciales. Il faut savoir en effet que l'article 56, 6° de la loi sur les pratiques du commerce autorise l'offre conjointe et à titre gratuit de titres de participation à des tombolas organisées par l'Etat ou dûment autorisées. Ces autorisations sont renouvelées chaque année par un arrêté royal qui fixe une série de conditions à respecter, sous peine d'une disqualification en loterie prohibée avec les conséquences notamment pénales qui pourraient en résulter tant pour les organisateurs que pour les partenaires commerciaux.

A l'inverse des loteries de l'Etat (Loterie Nationale), seuls les lots en nature sont admis à l'exclusion des lots en espèces ou en titres. En outre, l'autorisation de revendre les titres de participation à des entreprises commerciales est soumise à l'obligation de réserver au moins 50% de bénéfice net à l'association philanthropique.

Entre les tombolas et les concours, se situent les jeux de hasard qui demandent une intervention plus active des joueurs, mais sans que ceux-ci puissent réellement influencer les résultats. La Cour de cassation a défini les jeux de hasard comme "ceux dans lesquels, soit par euxmêmes, soit en raison des conditions dans lesquelles ils sont pratiqués, le hasard est l'élément prépondérant, c'est-à-dire prédomine sur l'adresse et les combinaisons de l'intelligence".

La loi du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard – et qui les interdit ou les réglemente strictement (casinos, salles de jeux automatiques et débits de boissons sous licences) – va désormais plus loin en précisant qu'une intervention même accessoire du hasard, suffit à répondre à la définition, pour autant cependant qu'il y ait un enjeu de la part des joueurs (mise, obligation d'achat, etc). Cette conclusion vaut également pour les nouvelles technologies de communication (Internet, SMS, WAP ou télévision digitale).

En d'autres termes, les jeux de hasard gratuits sont autorisés !

Mais cela ne signifie pas pour autant que la publicité pour les jeux de hasard gratuits serait autorisée. En effet, l'article 23, 10° de la loi sur les pratiques du commerce – qui concerne toutefois exclusivement le B to C - interdit toute publicité (même sans obligation d'achat) qui "éveille chez le consommateur l'espoir ou la certitude d'avoir gagné ou de pouvoir gagner un produit, un service ou un avantage quelconque par l'effet du hasard".

La jurisprudence a généralement considéré que l'effet du hasard devait être prépondérant pour que cette disposition s'applique.

Conclusion cocasse : la publicité pour un jeu licite n'est pas possible.

Comprenne qui pourra …


LES CONCOURS

A l'inverse des loteries ou des jeux de hasard, les concours permettent aux participants d'influencer les résultats par leurs aptitudes artistiques, physiques ou intellectuelles.

Si le hasard n'est pas prépondérant, une entreprise peut parfaitement offrir au consommateur la possibilité de participer à un concours, pour autant que cette possibilité soit offerte gratuitement.

Cela signifie que lorsque le droit de participer à un concours est lié à une obligation d'achat, il s'agira d'une offre conjointe qui ne bénéficie d'aucune dérogation, et partant illégale.

Mais cela ne signifie pas qu'il serait interdit de conditionner la participation à une démarche ou à une procédure impliquant des frais mineurs, tels que la prise en charge des frais postaux ou de télécommunications.

Il n'y a pas de définition légale du concours, mais il est clair qu'un concours suppose toujours une part d'aléa. Cette part d'aléa doit toujours rester accessoire, sous peine de disqualification en jeu de hasard ou loterie.

Il est généralement admis que si l'épreuve proprement dite (réponse à une ou plusieurs questions) est susceptible d'éliminer plus de la moitié des participants, il s'agit bien d'un concours même si la question subsidiaire destinée à départager les ex æquo, fait intervenir d'une façon ou d'une autre le hasard. Parfois cette question subsidiaire est une question d'évaluation (estimer un poids, une distance, une vitesse …) permettant du même coup de départager plus aisément les gagnants et d'attribuer les différents prix. Encore une fois, si cette question subsidiaire n'est pas maîtrisable par les participants (exemple : combien de réponses recevrons-nous ?), seule(s) la ou les questions principales permettront de déterminer s'il s'agit d'un vrai concours. En revanche, si une question subsidiaire d'estimation fait appel aux capacités artistiques, physiques ou intellectuelles des participants, la discussion sur la qualification de concours restera plus ouverte.

Ceci dit, ce critère d'élimination de la moitié des participants, est parfois lui aussi aléatoire et source d'une certaine insécurité juridique : comment prévoir de façon fiable le pourcentage de réussite d'un concours ?
Examinons l'apport de la jurisprudence en la matière.


III. JURISPRUDENCE

La Cour d'appel de Bruxelles a rendu une décision de principe intéressante puisqu'il s'agissait de répondre à deux questions simples et à une question subsidiaire consistant à compléter une phrase de façon originale avec un maximum de quinze mots. L'opération a été condamnée au motif que la question subsidiaire ne permettait pas "d'apercevoir les critères de sélection qui seront retenus pour départager les candidats; que s'il s'agit d'un critère de créativité, il ne peut, vu sa subjectivité, annihiler l'impression du consommateur que l'attribution des lots de valeur reste principalement l'effet du hasard" (Appel Bxl., 21 janv. 1999, Annuaire P.C., 1999, p. 464).

Ce critère de la maîtrise des participants sur les possibilités de gagner, est d'ailleurs généralement retenu pour trancher la problématique des primes de rapidité récompensant les premières réponses à un mailing. A ce sujet, la Cour d'appel de Liège estime que l'aléa joue de manière prépondérante et qu'une telle publicité "table sur les espoirs du client dont la volonté reste impuissante face à l'effet du hasard dépendant du comportement imprévisible d'une multitude d'autres personnes" (Appel Liège, 13 oct. 1998, Annuaire P.C., 1998, p. 380; Appel Liège, 20 nov. 2001, Annuaire P.C., 2001, p. 364)).

Cela étant, la Cour d'appel de Gand a jeté un fameux pavé dans la marre en admettant l'existence d'un concours dès l'instant où les réponses aux questions principales nécessitent des connaissances élémentaires ou, tout au plus, des recherches mineures, et où la question subsidiaire d'évaluation n'apparaît pas rationnellement insoluble !. Retenons que: "le fait de devoir répondre à des questions dans le cadre d'un concours, où le participant doit fournir un (léger) effort intellectuel qui mène avec certitude à des réponses évidentes, éventuellement à l'aide d'un dictionnaire ou d'une encyclopédie, ne transforme pas ce concours en jeu de hasard. Il n'y a pas jeu de hasard, mais bien concours, lorsque la réponse correcte à des questions n'est pas certaine à 100%, mais que les réponses que l'organisateur considère comme correctes doivent être considérées comme les réponses logiques et généralement acceptées à ces questions, et que le doute quant à la justesse des réponses fournies est minime et négligeable" (Appel Gand, 8 fév. 2001, Annuaire P.C., 2001, p. 414). En l'espèce, les questions principales portaient sur les pays de provenance des oranges de montagne en hiver et des meilleurs kiwis, alors que la question subsidiaire portait sur le poids d'une citrouille présentée dans un magasin ...

Cette décision qui donne de belles perspectives aux questions subsidiaires d'évaluation, est toutefois critiquée, même si elle a le mérite d'alimenter le débat, notamment sur l'interprétation de l'article 23, 10° de la loi sur les pratiques du commerce.

A côté de cette jurisprudence en matière de concours, il faut mettre l'accent sur la jurisprudence relative aux promesses de cadeaux, qui donnent parfois l'impression qu'un cadeau est acquis sans qu'aucune participation active ne soit imposée, que ce soit dans le cadre d'un concours ou d'une participation à une tombola. Il s'en dégage que le message publicitaire ne peut être ambigu et donner de faux espoirs au consommateur. Ainsi par exemple, le "prix" d'un concours ou d'une tombola ne peut être qualifié de "cadeau", sous peine de donner l'impression qu'aucune démarche active n'est nécessaire pour l'obtenir. Le message doit évidemment être examiné dans sa globalité, sans qu'il soit possible d'isoler l'un ou l'autre document de son contexte. Si le mailing laisse suffisamment clairement transparaître que l'entreprise n'a pas la volonté réelle de donner sans participation active des joueurs, la délivrance du prix ne pourra être exigée. Il faut donc être fort attentif à la formulation, d'autant que l'on ne peut exclure que, comme l'a fait récemment la Cour de cassation française, certains tribunaux estiment que la volonté déclarée doit l'emporter sur la volonté réelle de l'auteur du mailing …


IV. ORGANISATION


LE COUT

Le coût d'un concours est celui que l'entreprise est prête à y investir. Il n'y a pas de limitation de la valeur des prix et du coût de l'organisation.

A l'inverse, voici comment se répartit le coût d'une tombola :

-40% minimum du montant d'émission est investi dans les lots;

-50% de la recette des billets vendus constitue le bénéfice net de la tombola;

-10% des sommes recueillies peut être consacré aux frais d'organisation (production publicitaire, communication, huissier, etc …).

Soulignons que la valeur des lots est estimée sur base de la valeur marchande, et non sur base du prix payé par l'association à son fournisseur. Si le coût d'acquisition des lots n'est que de 20.000 € alors que leur valeur marchande serait de 40.000 €, le prix total à payer pour la tombola sera de 80.000 € et non 100.000 €.

Nonobstant ce tempérament, le coût d'une tombola est en principe plus élevé que celui d'un concours, mais c'est peut-être le prix de la sécurité …


LE REGLEMENT

L'établissement d'un règlement n'est pas obligatoire pour un concours. Un règlement étant un document relativement rébarbatif, il est d'usage d'inclure les éléments essentiels du concours dans le mailing proprement dit, en précisant la nature et le nombre de prix, les conditions de participation et la méthode de détermination des gagnants.

Cela résout en outre l'épineux problème de l'opposabilité du règlement, puisqu'il ne suffit évidemment pas de préciser dans le mailing que la participation au concours implique l'acceptation d'un règlement disponible sur simple demande.

En effet, seules les clauses expressément acceptées par les participants peuvent être rendues obligatoires, ce qui suppose à tout le moins que les participants aient eu connaissance des dites clauses.

Une telle clause incluant une présomption de connaissance et d'acceptation du règlement, constitue du reste une clause abusive interdite par l'article 32, 23° de la loi sur les pratiques du commerce, ce qui implique sa nullité.

Une autre solution consiste à communiquer des extraits du règlement dans le mailing ou la communication utilisée.

Pour un site Internet, il suffira de permettre au consommateur d'avoir accès au règlement complet sur une page spécifique, et de préciser dans la réponse que celui-ci est accepté.


L'INTERVENTION D'UN HUISSIER

L'intervention d'un huissier n'est pas davantage obligatoire, même s'il s'agit d'un usage tout à fait répandu.

Un huissier a l'avantage de donner une impression de sérieux au public, mais également d'entraîner une plus grande sécurité juridique.

Généralement, un huissier de justice n'accepte pas d'intervenir dans une opération susceptible d'être disqualifiée en jeu de hasard. En outre, ses constatations peuvent être précieuses dans le cadre des opérations parfois sophistiquées du concours proprement dit, sa parole faisant foi.


V. DEONTOLOGIE

Le nouveau Code de déontologie adopté par AG du 18 septembre 2002 de l'ABMD, aborde diverses questions relatives à la présentation d'un concours ou d'une loterie autorisée, le principe essentiel étant de faire clairement la distinction entre des cadeaux attribués sous certaines conditions et des prix attribués dans le cadre d'un concours ou d'une loterie autorisée. Le terme "prix" ne peut être utilisé que dans le cadre d'une loterie autorisée ou d'un concours (article 97).

Les prix doivent être présentés clairement et fidèlement, notamment quant à leur nombre, leur nature et leur valeur marchande.

De même, "aucune communication ne peut être conçue de manière à inciter le destinataire à croire qu'il a gagné ou qu'il va gagner avec certitude un prix déterminé, s'il n'est pas établi qu'il l'a gagné" (article 103).

L'adoption d'un règlement est prônée, de même que la communication d'un extrait de ce règlement au moment de l'offre promotionnelle. Il est également conseillé d'avoir recours à un huissier de justice pour constater le bon déroulement des opérations (article 104).

Par ailleurs, lorsque les données sont collectées dans le cadre d'un concours, l'entreprise doit donner une information claire et complète sur la finalité du concours au regard de la loi sur la protection de la vie privée (article 24).


VI. CONTEXTE EUROPEEN


SITUATION ACTUELLE DANS LES PAYS LIMITROPHES:

- Pays-Bas : les tombolas promotionnelles sont interdites sans exception, tandis que les concours sont autorisés même avec obligation d'achat, pour autant qu'un jury soit constitué pour départager les participants.

- Grand-Duché de Luxembourg : la nouvelle loi du 30 juillet 2002 autorise désormais, sans les différencier, tant les concours que les tombolas, pour autant que le règlement soit déposé préalablement chez un huissier de justice, et qu'ils soient gratuits, c'est-à-dire sans obligation d'achat, et présentés séparément du bon de commande.

- France : idem Grand-Duché de Luxembourg.


FUTUR EUROPEEN

La dérégulation est la solution d'harmonisation la plus commode.

La tendance majoritaire va donc vers une libéralisation des concours et tombolas, mais assortie d'obligations relativement strictes en matière d'information du consommateur.

Une proposition de règlement est actuellement en discussion au sein de la Commission Européenne sur base du principe simple suivant : il est interdit d'interdire !

Les jeux promotionnels, assimilables à nos loteries ou tombolas actuelles, seraient autorisés pour autant qu'il n'y ait pas de mise ou d'obligation d'achat. Mais la discussion porte toujours sur la possibilité d'exiger des frais de participation, voire un achat préalable (offre conjointe).

Les concours promotionnels, quant à eux, se caractériseraient par une absence de mise, mais la possibilité de lier la participation à un achat. Les appels téléphoniques ou SMS dans le cadre de jeux télévisés pourraient poser problème dans la mesure où les ristournes obtenues par l'organisateur sont susceptibles de constituer une rémunération (mise) déguisée …

En d'autres termes, si cette proposition l'emporte, une situation totalement nouvelle s'imposera : autorisation des tombolas sans obligation d'achat et des concours avec obligation d'achat … ce qui imposera toujours la difficile appréciation de la part de hasard permettant de classer l'opération dans l'une ou l'autre catégorie.

A côté de cela, les loteries d'Etat, resteront protégées et seront toujours régies par les législations de chaque Etat Membre.

Il faut également préciser que la réglementation applicable au commerce électronique (directive européenne sur le commerce électronique du 8 juin 2000 et loi belge du 11 mars 2003), pose le principe de la reconnaissance mutuelle, ce qui permet en principe à une entreprise établie dans un Etat Membre et respectueuse de la législation de cet Etat Membre, d'adresser ses promotions par voie électronique vers les consommateurs d'autres Etats Membres, même si la législation y est plus restrictive ! Mais le droit belge reste toutefois applicable aux promotions étrangères axées sur les jeux de hasard impliquant des mises, y compris loteries et paris (par exemple casinos virtuels sur le web), ainsi qu'aux obligations contractuelles dans les contrats conclus avec les consommateurs (articles 3.4° c et 6.2° loi 11 mars 2003).



Richard Byl
Avocat au barreau de Bruxelles - Praxislaw




Source : 18 septembre 2003


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