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Le Code civil fête ses 200 ans

Par Par Yola Minatchy

Lundi 24.05.04


Le Code civil, véritable monument de l’histoire du droit privé, a été promulgué par la loi du 30 ventôse an XII (le 21 mars 1804). Le Code civil incarne un socle fondateur de la société belge d’aujourd’hui : il régit encore l’essentiel de la vie des citoyens en matière civile, en ce début de troisième millénaire.

A la question qu’est-ce qu’un Code civil ? Portalis, un des rédacteurs du Code, a répondu : « c’est un corps de lois destinées à diriger et à fixer les relations de sociabilité, de famille et d’intérêt qu’ont entre eux les hommes qui appartiennent à la même cité (1). » Le chemin tracé par Portalis en 1804 est encore le nôtre au XXI ème siècle. Dès lors, comment ne pas saluer cette œuvre d’exception qui a traversé deux siècles sans ambages. En ce sens, un hommage s’impose aux éminents artisans d’un droit d’une longévité exceptionnelle.

Le foisonnement actuel des colloques célébrant le bicentenaire du Code civil de la Suisse au Québec, de l’Ecosse en Belgique, en passant par la France, est l'occasion de s’interroger sur l’intégration, l’évolution et les perspectives du Code civil en Belgique.


Intégration du Code civil en Belgique

L’application du Code Napoléon en Belgique demeure une émanation de l’histoire.

Le 20 avril 1792, Louis XVI déclare la guerre à l’Autriche sous la pression des forces révolutionnaires. La question de la conquête des Provinces belges, sous domination autrichienne depuis près d’un siècle, est posée. Un décret du 1er octobre 1795 réunit la Belgique et le pays de Liège à la France. La Belgique est définitivement cédée à la France par l’Autriche lors du Traité de Campo Formio, le 17 octobre 1797 (2). Le Code Napoléon étant imposé à tous les pays occupés et annexés par l'Empire napoléonien, c’est ainsi qu’il est appliqué, dès 1804, et ce dans son entièreté, aux Provinces belges. Il ne s’agit donc pas à l’origine d’une réception volontaire.

Cependant, le Code civil a résisté à tous les bouleversements politiques, économiques et sociaux qui ont succédé au règne de Napoléon 1er en Belgique.

En effet, le Traité de Vienne attribue la Belgique au Roi de Hollande le 9 juin 1815 : une commission pour une nouvelle codification du droit civil est alors nommée. Toutefois, les députés des Provinces belges se montrent hostiles à l’application de ce projet de Code civil.

Un compromis est finalement trouvé en 1826. Durant l’été 1830, la révolution belge perturbe l’entrée en vigueur du projet du Code civil en Belgique : un arrêté publie le Code néerlandais. Le gouvernement provisoire révoque ledit arrêté car la réaction nationale et libérale se prononce en faveur de l’application du droit civil français.

C’est ainsi qu’après 1831, le Code civil est maintenu en Belgique, et ce, de manière permanente à travers les siècles. Le Code civil a été maintenu dans une Belgique indépendante, et ce librement.


Evolution du Code civil en Belgique

Le Code civil a consacré l’avènement d’une ère juridique sans précédent. Il réaffirme certains grands principes égalitaires de la Révolution : l’égalité, la liberté, la volonté. Il vise à assurer l’ordre, la stabilité, la paix sociale. Le Code civil réalise un juste équilibre entre les principes anciens et les conquêtes révolutionnaires par le conservatisme et le libéralisme des textes.

A la différence du droit révolutionnaire, le Code civil entend se délimiter au concret et au réalisable.

Son écriture simple, claire et précise a pour corollaire son accessibilité à tous.

Le texte du Code a par ailleurs enthousiasmé Stendhal qui écrivit à Balzac en 1840 : « en composant la Chartreuse, pour prendre le ton, je lisais de temps en temps quelques pages du Code civil. »

L’application du Code Napoléon a été longtemps fidèle en Belgique : il a fallu attendre une loi du 15 décembre 1949 pour que les termes « France », « territoires français », « empereur » soient modifiés.

Jusqu’à cette loi, les éditeurs belges avaient néanmoins fait apparaître les expressions anachroniques en caractère italique. Force reste de constater que la société des provinces belges du XVIII ème siècle devait être proche de la société française à la même époque car l’intégration du Code civil s’y est réalisée sans heurts majeurs.

Cependant, le Code civil a connu sa propre histoire en Belgique. Son évolution s’est réalisée en toute conformité aux mentalités de sa société belge. Certes, les auteurs, les magistrats, les praticiens belges suivent avec attention les mutations du Code civil français. En réalité, le législateur belge a bien souvent précédé le législateur français. C’est pourquoi, il serait ici réducteur de parler de l’influence, de la dépendance d’un droit sur l’autre.

Nous remarquons plutôt le développement simultané de deux droits civils. Les siècles s’écoulant, la similitude entre les législations jumelles vont en régressant, ce qui a fait écrire à M. De Harven « que la doctrine et jurisprudence belge s’affirment progressivement », en toute indépendance par rapport à l’évolution du droit civil en France.

Ainsi, le Code Napoléon a fait l’objet de ses propres modifications législatives en Belgique. A titre d’exemple, on peut noter la loi de 1851 sur les privilèges et hypothèques, la loi de 1908 sur l’admission de la recherche en paternité, la loi de 1932 et 1958 sur l’abolition de l’incapacité de la femme mariée (3), la récente loi de 2002 sur le mariage des homosexuels où la Belgique fait figure de précurseur en Europe avec les Pays-Bas.

Lors du colloque sur le bicentenaire du Code civil à Paris, les juristes français n’ont pas tari d’éloges sur la simplicité, la clarté de la filiation en droit civil belge et ont proposé ses règles comme modèle à l’heure où la filiation devient d’une grande complexité en France (4).


Perspectives du Code civil en Belgique

Le Code civil, véritable chef d’œuvre, occupe une place particulière dans notre mémoire collective et dans notre système juridique actuel. Ainsi que l’ont rappelé les plus éminents juristes français lors du Colloque sur le bicentenaire du Code civil, ce monument reste « un des plus glorieux fleurons de la culture francophone », « un symbole de sagesse, de raison, et de compromis », « une œuvre unique de modernité inégalée dans la forme et dans le fond (5)».

D’aucuns ont néanmoins laissé transparaître une inquiétude, un pessimisme quant à l’avenir du Code civil.

L’interrogation majeure réside dans le phénomène de décodification des lois civiles : la multiplication de lois satellites en dehors du Code civil foisonnent. A titre d’exemple, la propriété intellectuelle se développe hors du Code civil en Belgique comme en France. Cependant, le phénomène d'éclatement n’est pas homogène et n’atteint pas tous les domaines du droit civil : la personne, la famille sont des matières peu affectées.

Deux méthodes sont préconisées afin de remédier à l’éclatement du droit civil : la codification à droit constante, c’est à dire la révision ; ou la recodification innovation, voie selon laquelle on reconstruit le droit dans son entièreté.

Par ailleurs, depuis 2002, une vaste controverse est née sur le projet du Code civil européen préparé officieusement.

Le projet du Code civil européen tend à l’uniformisation, à la standardisation du droit civil dans les pays de l’Union européenne (6).

Les partisans de ce projet se complaisent à éluder l’absence de compétence des institutions européennes pour légiférer en droit privé : ainsi que le souligne le doyen Cornu, « un Code civil n’est pas un instrument communautaire. »

La diatribe des détracteurs du Code civil consiste à lui reprocher plusieurs formes d’obsolescence. Or, le Code civil a prouvé par ses deux siècles d’existence avoir été apte à accueillir les changements profonds de la société belge, notamment par la modernité de son architecture. Son évolution a été adaptée aux phénomènes sociaux et politiques.

Le Code civil a été adapté, modifié mais il n’a jamais été remplacé. En conséquence, le Code civil peut être considéré comme réfractaire au vieillissement. Son histoire n’est pas à son épilogue : le Code civil est toujours en vigueur. En ce sens, un éloge funèbre par ses adversaires nous paraît peu approprié voire outrecuidant.

En attendant le tricentenaire, il nous appartient aujourd’hui de défendre un héritage idéologique, sociologique, juridique.

Le Code demeure le porteur de grands principes auxquels notre civilisation doit son haut degré d’humanité.

Il appartiendra aux étudiants de demain, aux générations futures, prochains dépositaires du Code civil, de plaider pour une perpétuelle régénération de ses textes, de refuser la standardisation de nos sociétés, la perte de notre identité juridique.

« Le Code civil claque au vent de l’histoire comme il claque au vent du droit » (7). Le Code civil, monument vivant, a été fait pour durer par des artisans d’exception. Le génie ne se délègue pas.

La pérennité du Code a été prévue par son fondateur lui-même : « Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code Civil (8)... »




Yola MINATCHY

Avocate au barreau de Bruxelles
Cabinet Lallemand et Legros


Notes:

(1) Jean Etienne Marie PORTALIS, Discours préliminaire sur le projet du code civil, Edition de 1804
(2) Michel GRIMALDI, L’exportation du Code civil, Revue Pouvoirs N°107, p 80 et suivants
(3) Jean-Louis HALPERIN, Le code civil, Connaissance du droit, Dalloz
(4) Colloque du Bicentenaire du Code Civil, 11-12 mars 2004, La Sorbonne, Paris
(5) Colloque du bicentenaire du Code civil, 11-12 mars 2004, La Sorbonne, Paris
(6) De l’auteur, Le projet du Code civil européen, Journal des Procès du 22 janvier 2004
(7) Guy CANIVET, Colloque du bicentenaire du Code civil, 11-12 mars 2004, La Sorbonne, Paris
(8) NAPOLEON Bonaparte, Le mémorial de Saint-Hélène, 1818.


Source : DroitBelge.Net - 24 mai 2004


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