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La requête civile, à user avec parcimonie

Par Elise Hecq

Mercredi 31.03.21

L’équilibre entre le principe du respect de la chose jugée et les droits de la défense a toujours tenaillé notre droit. Cet équilibre est à son apogée s’agissant de la requête civile (« het verzoek tot herroeping van het gewijsde ») qui est un recours extraordinaire (on insistera sur l’adjectif) à l’encontre de jugements et d’arrêts définitifs, coulés en force de chose jugée, dans les cas prévus à l’article 1133 du Code judiciaire.

La présente contribution vise à souligner les particularités de ce recours, sa mise en œuvre par les praticiens, sa procédure et surtout ses conditions d’application.

La structure de cet article suivra la logique du déroulement d’une procédure judiciaire classique, on analysera tour à tour l’introduction et la recevabilité de la requête (1), pour ensuite aborder les conditions de fond de la requête (2), et enfin terminer sur l’éventuelle rétractation qui suivra (3).


(1) Préalables et recevabilité de la requête civile

La requête peut être introduite par celui qui aura été partie ou dûment appelé à la cause. Le requérant doit donc avoir été partie à un procès (demandeur ou défendeur) et découvrir, après que le jugement rendu ait été passé en force de chose jugée, un élément à ce point important qu’il y a lieu de rétracter la décision entreprise.

Un tiers au procès, sans préjudice du ministère public, ne pourrait introduire une telle procédure.

La requête civile est signifiée avec citation dans les formes ordinaires et se déroule selon une procédure classique. Cette requête doit être introduite devant la juridiction qui a rendu la décision entreprise, mais pas forcément devant la même chambre ou le même juge.

En praticien avisé, il sera toujours préférable de travailler en deux temps, en analysant, en premier lieu, la recevabilité, d’ailleurs examinée in limine litis, avant de traiter de toutes questions relatives au fond de la requête.

Une des particularités atypiques de cette requête porte sur la signature obligatoire par trois avocats dont deux inscrits depuis plus de 20 ans au tableau (stage compris), cette condition étant prescrite à peine de nullité.

La requête civile doit également contenir tous les moyens qui la soutiennent. Par conséquent, tout moyen soulevé dans le cadre de conclusions ultérieures sera jugé irrecevable.

La requête civile doit par ailleurs² être introduite, à peine de déchéance, dans les six mois de la découverte de la cause invoquée.

Il a néanmoins été jugé qu’une requête civile déposée au greffe dans les délais sans être signifiée est, selon la Cour de cassation, recevable. (Cass., 17 février 2002, RG.S020100N). La signification à la partie adverse pourra donc avoir lieu ultérieurement.

Ce délai prend donc cours à partir de la « découverte » « de la cause invoquée » :

la découverte »… se réfère au moment où la partie d’un jugement se rend compte, ou pouvait avoir la possibilité de se rendre compte, que le jugement rendu a été tronqué suite à un acte ou à un fait de l’autre partie. La requête civile étant une atteinte singulière au respect de la chose jugée, la jurisprudence considère que la connaissance/la découverte de la cause s’apprécie de manière objective, à savoir une connaissance que tout homme prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances pouvait avoir.

-… « de la cause invoquée », on se réfère ici aux causes énumérées à l’article 1133 du Code judiciaire qui font l’objet du point 2 de notre article.

Enfin, et sur la base de l’article 764 du Code judiciaire, l’introduction d’une requête civile doit être communiquée au ministère public. Le défaut de communication n’est pas sanctionné mais si les parties veulent éviter une remise et une perte de temps supplémentaire, la partie la plus avisée sera attentive à cet élément.


(2) Les conditions de fond de la requête

L’article 1133 contient une liste exhaustive de 6 « causes » pouvant mener à la rétractation de la décision. Ces dernières sont interprétées de manière restrictive, s’agissant d’exceptions au principe du respect de la force de chose jugée :

-< un « dol personnel », entendu en sa définition civiliste, le dol doit remplir les 4 conditions suivantes : des manœuvres frauduleuses (1) visant à tromper le juge (2), ces manœuvres sont le fait de la partie en faveur de qui la décision a été rendue (3) et ont une influence sur le jugement entrepris (4);

À ce sujet, il faut différencier le dol personnel d’une autre situation telle que: « une partie au procès qui ne communique pas une certaine donnée de fait dans la procédure (…) l’obligation d’une partie au procès de se comporter loyalement et de reproduire correctement les faits n’implique en effet pas qu’elle serait tenue d’avancer tous les éléments qui peuvent être invoqués contre ses arguments ou moyens de défenses » comme cela ressort de l’arrêt de la Cour d’appel de Gand (Gand, 17 juin 2010, RW 2011-12, liv.15, 703). La fraude, le silence circonstancié et le comportement de toute partie au procès sont des notions qui seront difficiles à apprécier…

- si depuis la décision, « il a été recouvré des pièces décisives et qui avaient été retenues par le fait de la partie ».

Il ressort de la jurisprudence constante que les pièces doivent avoir été retenues par la partie qui a gagné le procès et non pas les pièces perdues puis retrouvées par le requérant de la requête civile.

On sera attentif au fait qu’une requête civile ne peut pallier à la négligence d’une partie qui ne s’est pas défendue de manière diligente à un procès. (J-FR. Van Drooghenbroek, « la requête civile », Tome 2, manuel de procédure civile, Bruxelles, Larcier, 2015, pp.1173 ; C. cass., arrêt du 26 mai 1995)

- « si entre les mêmes parties, agissant en mêmes qualités, il y a un incompatibilité de décisions rendues sur le même objet et sur la même cause »

- « si des pièces, témoignages ou autres documents ont été déclarés faux depuis la décision »

Le requérant sera attentif à d’abord introduire une procédure de déclaration en faux (articles 895 et suivants du Code judiciaire) pour ensuite introduire la requête civile, le délai de 6 mois commençant à courir, selon nous, à la date de la décision actant le bien-fondé de la déclaration en faux.

- « si la décision est fondée sur un jugement ou arrêt rendu en matière répressive qui est ensuite annulé »

- « si la décision est fondée sur un acte de procédure accompli au nom d’une personne sans qu’elle ait soit donné mandat soit ratifié ou confirmé ce qui a été fait »

Le praticien ne perdra pas de vue la limitation des compétences des administrateurs ainsi que, de manière générale, des personnes chargées d’une représentation au nom et pour le compte d’autrui (mandataire, porte-fort, parent-tuteur,…)


(3) De l’éventuelle rétractation et de ses suites

S’il estime la requête fondée, le juge rétracte le jugement entrepris. S’il le réforme, le nouveau jugement remplacera le premier.

La requête n’ayant pas pour effet de suspendre l’exécution de la décision entreprise, une partie qui souhaiterait la faire exécuter, le fera à ses risques et périls (article 1137 Code judiciaire).

À recours extraordinaire, sanction extraordinaire, la personne qui aura à se défendre d’une requête civile inopinée et introduite de manière légère pourra, le cas échéant, demander des dommages et intérêts pour procédure téméraire et vexatoire d’autant plus défendable du fait du caractère extraordinaire de la procédure, et même une amende civile pour abus procédural, principalement lorsque l’objectif de la requête était purement dilatoire. (780 bis du Code judiciaire)

Conclusion : comme notre Cour de cassation l’a rappelé : « La force de la chose jugée d'une décision judiciaire appartient, pour des raisons de sécurité juridique et de tranquillité publique, aux bases juridiques sur lesquelles repose l'ordre économique ou moral de la société et concerne par conséquent l'ordre public. La requête civile comme recours extraordinaire et plus précisément les motifs suivant lesquels une décision passée en force de chose jugée peut faire l'objet d'une requête civile, touchent dès lors également à l'ordre public » (Cass., arrêt n°C.09.0458.N, du 24 juin 2010.), on invitera les praticiens à la plus grande prudence lors de l’introduction d’une telle requête, s’analysant comme un dernier rempart au droit de défense.



Elise Hecq
Avocat au barreau de Bruxelles



Source : DroitBelge.Net - Actualités - 31 mars 2021


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