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De la simplification vers la suppression de la procédure d’exequatur en matière civile et commerciale : quand le mieux se révèle être un non-sens...


Mercredi 22.10.03



L’exequatur, concept a priori insignifiant à l’heure d’une Europe Unie, est, parmi d’autres exemples, une manifestation évidente de l’absence de sentiment d’appartenance européen et, partant, du cantonnement des nations à leur souveraineté propre et exclusive.

Dans ce contexte, la décision des autorités européennes de mettre en place un processus de suppression progressive de la procédure d’exequatur en matière civile et commerciale a été ressentie comme un véritable coup de tonnerre au sein du monde juridique.

Plus d’un an après la mise en place effective de cette présomptueuse démarche, l’heure est aux espoirs mais aussi aux déceptions.


1. Le Règlement « Bruxelles I », entré en vigueur le 1er mars 2002

La procédure d’exequatur, telle que décrite dans la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, constituait, du fait de sa durée et de son coût, un frein majeur à l’exécution des jugements au sein de l’Union européenne.

Face à ces imperfections, gage d’une insécurité manifeste, l’on peut se féliciter de la « communautarisation » de cette Convention et, plus particulièrement, de l’adoption du Règlement au détriment de la Directive. Celle-ci aurait, sans nul doute, donné lieu à des dispositions nationales divergentes, ôtant ainsi tout espoir de simplification de la procédure d’exequatur.

Profitons de cette aubaine pour relever quelques traits innovateurs de cette procédure.

L’article 41 énonce que « la décision est déclarée exécutoire dès l’achèvement des formalités prévues à l’article 53, sans examen au titre des articles 34 et 35. La partie contre laquelle l’exécution est demandée ne peut, en effet, en cet état de la procédure, présenter d’observations ».

En d’autres termes, c’est une présomption réfragable de régularité formelle qui est attachée à la décision. La valeur nouvelle accordée au certificat est telle qu’aucun examen de fond de la décision ne peut être opéré durant la première phase de la procédure, à savoir celle de l’obtention d’une déclaration constatant force exécutoire.

Cet article va plus loin encore ! Dans la seconde étape de la procédure mise en œuvre, celle de la signification de la déclaration, le Règlement utilise un système d’inversion du contentieux. Si la pratique de la Convention de Bruxelles faisait état du principe de l’inversion de la charge de la preuve, c’est, ici, l’initiative procédurale en son ensemble qui incombe au défendeur. Dès lors, seule une attitude « réactive » de ce dernier permettra un examen des motifs de refus d’exécution par le juge de l’Etat requis.

L’innovation majeure de ce Règlement se situe cependant, à mon sens, au niveau de l’ordonnance d’exequatur, qu’il convient à présent d’appeler la « déclaration constatant force exécutoire ». La nature de ces mots appelle en effet deux perspectives nouvelles en la matière.

La première, présentée comme la plus audacieuse, permettrait véritablement de concilier les objectifs de rapidité et d’efficacité clairement affirmés par le considérant n°17 du Règlement. Il semble, en effet, que les rédacteurs ont nourri l’idée de permettre l’obtention de la déclaration par une autre instance que le juge de l’Etat requis.

La preuve en est fournie par le libellé de l’article 55 : « A défaut de production du certificat visé à l’article 54, la juridiction ou l’autorité compétente peut impartir un délai pour le produire… » . Il est, par ailleurs, symptomatique de constater qu’à diverses reprises, l’on fasse référence au terme de formalité pour désigner la demande de déclaration. Dès lors, a priori, rien ne pourrait s’opposer à ce que le greffe puisse lui-même procéder à cette délivrance et permette ainsi de faire l’économie d’une étape de la procédure visée par la Convention de Bruxelles.

C’est cependant faire peu de cas de l’article 40 selon lequel « les modalités du dépôt de la requête sont déterminées par la loi de l’Etat membre requis ». Or, comme on le sait, dans le contexte de l’introduction d’une requête par voie unilatérale, seule l’intervention d’un avocat permet de satisfaire à cette exigence.

Cette déception est accentuée par l’obligation faite, dans nos relations avec la France – pour ne citer que cet exemple -, de présenter cette requête devant le Président du Tribunal de Grande Instance . Le Nouveau Code de Procédure Civile français prévoit, en effet, que le dépôt s’effectue exclusivement par un avocat postulant du barreau dépendant de ce Tribunal. Voilà qui réduit les espoirs fondés en ce Règlement à une peau de chagrin... Car si , dorénavant, le juge est appelé à effectuer un contrôle purement formel, il n’en reste pas moins qu’en pratique, la multiplication des étapes ajoutée à la tradition formaliste de certains pays contribue à présenter cette procédure comme un véritable leurre.


Dans une seconde perspective, la justesse des termes employés démontre à suffisance qu’il n’y a plus lieu de parler de jugement d’exequatur. Ce dernier était jusqu’ici constitutif de force exécutoire pour l’Etat membre requis. Or, à présent, l’exequatur n’a plus qu’un caractère déclaratif, ce qui implique que l’étendue du titre exécutoire est nécessairement déterminée par la décision de l’Etat membre d’origine.

Doit-on dès lors poser que cette déclaration se limite à constater la force exécutoire étrangère et que c’est cette dernière qui autoriserait l’exécution forcée dans l’Etat membre requis ? Il semble que oui sur le plan des principes. Cette question amène logiquement celle du Titre exécutoire européen, dont nous allons analyser sommairement les lourdeurs et l’efficacité douteuse qui s’en dégagent .


2. Proposition de Règlement portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées

Conscient de l’importance de parvenir au plus vite à une coopération judiciaire efficace entre les Etats membres, le Conseil européen de Tampere a émis une proposition de Règlement visant à réduire les mesures intermédiaires requises afin de permettre la reconnaissance et l’exécution de décisions judiciaires entre Etats membres.

Cette proposition entend supprimer la procédure d’exequatur en mettant en place un système de certification. Sans entrer dans le détail, la juridiction ayant rendu sa décision sera également compétente afin d’attribuer le caractère exécutoire européen à la décision initiale. Cet ambitieux projet est pourtant loin de faire l’unanimité…

Et pour cause ! Une analyse succincte de la proposition démontre malheureusement que le processus de suppression de l’exequatur, entrepris sur la base d’échéances graduelles, a laissé place à l’empressement et l’inefficacité.

On peut tout d’abord s’interroger sur la notion même de « créance incontestée ». La proposition envisage une large définition en son article 3. Une créance sera réputée incontestée si :

- le débiteur l’a expressément reconnue au cours d’une procédure judiciaire en l’acceptant ou en concluant une transaction devant la juridiction
- le débiteur ne s’y est jamais opposé au cours de la procédure judiciaire, une déclaration du débiteur faisant état de difficultés matérielles pour honorer une dette ne pouvant être considérée comme une objection à cet égard
- si le débiteur n’a pas comparu ou ne s’est pas fait représenter lors d’une audience relative à cette créance après l’avoir initialement contestée au cours de la procédure judiciaire.


D’emblée, une première question surgit : la procédure se déroulant « au fond », pourquoi restreindre le bénéfice du caractère exécutoire européen aux seules créances incontestées sur base de cette définition ? Dès l’instant où la juridiction a jugée incontestable une créance, on ne voit certainement pourquoi cette décision pourrait être remise en cause sous prétexte qu’il ne rentre pas dans la définition susvisée. Il s’agit là une confusion des rôles affectant manifestement l’imperium du juge.

D’autre part, préférant figer le caractère incontestable de la créance au sein d’une définition plutôt que d’en confier le pouvoir de détermination au juge, la proposition dévoile très vite ses effets pervers. Que faire, par exemple, de l’hypothèse où le débiteur contesterait systématiquement la créance ? On devinera qu’il lui sera aisé de se déjouer du système puisque la définition ne prévoit pas cette éventualité. Partant, la créance ne saurait acquérir le caractère exécutoire européen.

Il peut être également intéressant de soulever une exigence nouvelle en vue de l’obtention de la certification : la décision de base doit avoir acquis force de chose jugée. Ceci paraît plus strict que dans le Règlement 44/2001 qui prévoit seulement que la décision soit exécutoire dans l’Etat membre d’origine. Et cela peut se produire avant que la décision ait acquis force de chose jugée (en cas d’exécution provisoire, par exemple).

Toutefois, ne perdons pas de vue qu’en vertu de l’article 43 du Règlement 44/2001, la déclaration constatant force exécutoire peut faire l’objet d’un recours dans un délai d’un mois à compter de sa signification. Durant cette période, on ne pourrait procéder qu’à des mesures conservatoires.

Or, cette période n’existe plus dans cette nouvelle proposition. L’on aurait pu se féliciter de cette avancée si une incohérence n’avait pas vicié la procédure. En effet, si la décision conférant la certification ne peut être susceptible de recours, elle pourra cependant être indirectement mise en cause par le recours accordé contre la décision au fond initiale.


Les difficultés épinglées dans ce bref exposé sont loin d’être insurmontables. Elles démontrent cependant la difficulté avérée d’affronter un tel défi en inversant les étapes. Il ne fait nul doute que ce type de problèmes perdurera tant qu’un travail d’harmonisation des procédures internes n’aura pas été réalisé. La rapidité et l’efficacité des procédures sont à ce prix.

La situation actuelle est d’autant plus décevante que le projet informel de convention mondiale relative à la compétence, à la reconnaissance et à l’exécution des jugements étrangers en matière civile et commerciale en est réduit à une impasse.


François DUBOIS
Huissier de Justice stagiaire


Association Brulé, Scieur & Decoster (http://www.jcbrule.com)










Source : Par François Dubois


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