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Les agents immobiliers et la clause de réflexion de sept jours

Par Laurent Collon

Mercredi 21.06.06

Un des domaines les plus sensibles de la problématique du respect de la loi sur les pratiques du commerce par les agents immobiliers est celui du délai de réflexion de sept jours qui doit être accordé aux consommateurs dans certains cas.

La Cour d’appel de Bruxelles vient de rendre un arrêt particulièrement intéressant à cet égard (Bruxelles, 7 février 2006 (R.G. : 2003/AR/842), inédit).


1. La loi sur les pratiques du commerce : brefs rappels

Le contexte légal dans lequel s’inscrit la question que nous examinons est celui de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce.

Cette dernière prévoit un certain nombre de mesures destinées, notamment, à protéger le consommateur dans ses rapports avec les commerçants (parmi lesquels les agents immobiliers).


A. Qu’est-ce qu’un « consommateur » ?

Le consommateur est défini comme étant « toute personne physique ou morale qui acquiert ou utilise à des fins excluant tout caractère professionnel des produits ou des services mis sur le marché » (1).

Le consommateur est donc celui qui achète, à des fins exclusivement privées, et ce quels que soient sa formation, son expérience, ses connaissances dans le domaine, ou encore son état de fortune.


B. Les mesures de protection du consommateur

Les mesures mises en place par la loi concernent l’obligation pour le commerçant (dont l’agent immobilier) d’indiquer son tarif, l’interdiction d’insérer des clauses dites abusives dans ses contrats avec des consommateurs, l’interdiction de pratiquer le système des « offres conjointes », …

Mais surtout, pour notre propos, la loi prévoit une protection renforcée du consommateur lorsqu’il lui est proposé d’acheter un bien ou un service en dehors de l’entreprise du commerçant, l’agence immobilière en l’occurrence.


2. Les contrats d’agence conclus en dehors de l’agence immobilière


A . Champ d’application

L’article 86, §1er, de la loi du 14 juillet 1991 stipule que sont visées « les ventes de (…) services au consommateur effectuées par un vendeur :

- « 1° à la résidence du consommateur ou d'un autre consommateur, ainsi qu'au lieu de travail du consommateur ».


B. Exclusions

Ne tombent pas sous l'application de la section légale que nous examinons les ventes portant sur (un produit ou) service « pour lequel le consommateur a demandé de façon préalable et expresse la visite du vendeur, en vue de négocier l'achat de ce produit ou service », étant entendu que ne « constitue pas une demande préalable, l'accord donné par le consommateur à une offre de visite proposée téléphoniquement par le vendeur » (2).

La demande préalable et expresse de visite émanant du consommateur doit donc porter strictement sur l’achat du produit ou du service, et non, par exemple, en vue d’obtenir une simple information (sur la valeur du bien par exemple) (3).

Par ailleurs, la réalité d’une demande préalable et expresse d’une visite chez son client potentiel, en vue de négocier la conclusion d’une convention de mise en vente ou en location, ne suffit pas toujours à l’agent pour échapper aux règles de forme légales.

Encore lui appartient-il, en effet, de prouver cette demande préalable et expresse de son commettant (4) .


C. Obligation d’établissement d’un contrat écrit

Les ventes au consommateur visées doivent, sous peine de nullité, faire l'objet d'un contrat écrit, rédigé en autant d'exemplaires qu'il y a de parties contractantes ayant un intérêt distinct.

Ce contrat doit mentionner (5):

- le nom et l'adresse du vendeur ;
- la date et le lieu de conclusion du contrat ;
- la désignation précise du service, ainsi que ses caractéristiques principales ;
- le délai de la prestation de service ;
- le prix à payer et les modalités de paiement.


D. La clause de renonciation (ou de réflexion)


1. Principe

Mais surtout, le contrat doit reprendre la clause de renonciation suivante :

« Dans les sept jours ouvrables à dater du lendemain du jour de la signature du présent contrat, le consommateur a le droit de renoncer sans frais à son achat à condition d'en prévenir le vendeur par lettre recommandée à la poste. Toute clause par laquelle le consommateur renoncerait à ce droit est nulle. En ce qui concerne le respect du délai, il suffit que la notification soit expédiée avant l'expiration de celui-ci. » (6).

Cette clause doit être rédigée en caractères gras dans un cadre distinct du texte au recto de la première page du contrat conclu entre l’agent et con client (7).


2. Effets

Les contrats reprenant les clauses requises ne sont parfaits qu'après un délai de sept jours ouvrables à dater du lendemain du jour de leur signature. Pendant ce délai de réflexion, le commettant a le droit de faire savoir par lettre recommandée à la poste à l’agent qu'il renonce au contrat (8).

Aucun frais ou indemnité ne peut lui être réclamé de ce chef (9).

Avant l'écoulement de ce délai de réflexion, aucune prestation de service ne peut être effectuée par l’agent, et un acompte ou paiement ne peut, sous aucun prétexte, sous quelque forme que ce soit, être exigé ou accepté du commettant (10).


3. Sanction

A défaut de respect strict de ces exigences, le contrat est tout simplement nul ! (11)

Il en découle que l’agent ne peut alors, en principe, réclamer sa rémunération.


4. Nullité relative ou absolue

La question est de savoir si la nullité prévue par l’article 88 de la loi est absolue ou relative

La nuance est de taille.

En effet (12):

• toute personne intéressée à faire constater la nullité peut s’en prévaloir et le juge doit la soulever d’office

• La nullité absolue ne peut être couverte, à la différence de la nullité relative

Cela signifie que dans le premier cas, la personne protégée par la nullité (le client de l’agent immobilier en l’occurrence) ne peut renoncer à invoquer la nullité du contrat, alors qu’il le peut dans le second.

Pour les uns, la nullité est absolue et ne peut être couverte par le consommateur. Pour les autres, elle n’est que relative et peut donc être couverte par le consommateur. Telle fut la position adoptée par la Cour d’appel de Gand dans un arrêt du 10 septembre 2003 (13). La Cour estima que la nullité avait été couverte en l’espèce de manière implicite par les consommateurs qui tout d’abord avaient laissé la convention de courtage se renouveler à deux reprises alors qu’ils avaient eu l’occasion de la résilier et puis avaient conclu la vente de leur bien avec des candidats présentés par l’agence.

La question qui nous concerne est donc controversée.

La Cour de cassation n’a pas eu l’occasion encore de trancher cette controverse, et il est évident que tant les personnes concernées que les praticiens sont impatients d’être fixés.


3. L’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 7 février 2006

La Cour d’appel de Bruxelles vient de se rallier à la position adoptée par la Cour d’appel de Gand dans son arrêt du 10 septembre 2003 précité.

Elle considère en effet, elle aussi, que la nullité frappant le défaut de mention de la clause de renonciation dans le corps du contrat d’agence immobilière est relative.

Elle peut donc être couverte par le comportement du consommateur, à savoir le propriétaire-vendeur qui a recouru aux services de l’agence.

En l’espèce, la Cour considère que le propriétaire-vendeur a renoncé de manière certaine à invoquer la nullité du contrat.

Elle pointe les éléments suivants pour justifier sa position :

• le propriétaire-vendeur avait renouvelé à plusieurs reprises le contrat de mandat confié à l’agence ;
• il n’avait protesté la validité de la vente intervenue grâce à l’agence immobilière que deux mois après sa conclusion ;
• l’avocat consulté par le propriétaire-vendeur n’avait invoqué la nullité de la convention pour défaut de mention de la clause de renonciation que bien après le début de son intervention.

La position adoptée par la Cour d’appel de Bruxelles doit être pleinement approuvée.

La situation de l’agent immobilier est en effet différente de la plupart des autres commerçants visés par la loi sur les pratiques du commerce.

Ceux-ci vendent en effet généralement leurs biens et services lors d’un contact ponctuel avec le consommateur, qui s’établit soit au domicile de celui-ci, soit dans une foire ou un marché.

C’est alors que le consommateur paie le prix de ce bien ou de ce service.

C’est ensuite qu’il peut en arriver à regretter son acquisition.

C’est précisément cette situation qui a été visée par le législateur par le biais des articles 86 et suivants de la loi sur les pratiques du commerce.

Ils permettent au consommateur, qui viendrait à estimer qu’il a été influencé contre son gré dans le cadre de l’achat du bien ou du service, de revenir sur sa décision.

Dans le cas de la conclusion d’un contrat d’agence immobilière, la situation est tout autre dès lors que dans la grande majorité des cas, plusieurs semaines, voire plusieurs mois, s’écoulent avant que l’agent aboutisse dans sa mission, lorsqu’il y aboutit.

Le consommateur bénéficie donc forcément d’un délai de réflexion.

S’il démontre, par un comportement bien précis, ne pas vouloir se prévaloir de la nullité du contrat, il semble illogique qu’il l’invoque ensuite.

La solution adoptée par le législateur aboutit donc, dans un certain nombre de cas, à des abus dans le chef des propriétaires vendeurs, dont les agents immobiliers sont victimes.

Il s’agit des situations où après avoir bénéficié de l’apport d’un candidat par l’agence immobilière, les propriétaires vendeurs invoquent la nullité de la convention d’agence dans le seul but d’éviter de payer la rémunération y attachée.

Cette situation est injuste, et c’est la raison pour laquelle il faut approuver l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Bruxelles.

Bien entendu, la nullité ne pourra être couverte que lorsqu’il sera démontré qu’alors qu’il a eu l’occasion de s’en prévaloir, le consommateur a, au contraire, adopté un comportement qui démontre qu’il a persisté dans son intention de bénéficier des services de l’agent immobilier.




Laurent Collon
Avocat au barreau de Bruxelles - Xirius.
Spécialiste agréé en droit immobilier



Notes:

(1) Art. 1, 7° de la loi.
(2) Art. 87, a) de la loi du 14 juillet 1991.
(3) Liège, 29 janvier 2001, J.L.M.B., 2001, p. 1301 ; J.T., 2001, p. 571 ; Rev. rég. Dr., 2001, p. 302 ; contra : Civ. Turnhout, 22 octobre 2002, T. app., 2003, liv. 3, p. 41.
(4) Civ. Audenaerde, 24 octobre 1994, R.W., 1995-1996, p. 1059 ; Civ. Bruges, 27 septembre 1999, R.W., 2000-2001, p. 951, note E. Ballon ; Bruxelles, 12 décembre 2000, Ann. prat. com. conc., 2000, p. 391.
(5) Art. 88, alinéa 2.
(6) Art. 88, alinéa 2, dernier tiret de la loi du 14 juillet 1991.
(7) Ibidem.
(8) Art. 89.
(9) Art. 91.
(10) Art. 89.
(11) Art. 88, dernier alinéa de la loi du 14 juillet 1991.
(12) H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. I, 1962, pp. 145-146.
(13) Gand, 10 septembre 2003, N.J.W., 2003, p. 1305.










Source : DroitBelge.Net - Actualités - 21 juin 2006


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