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[EN PRATIQUE] La valeur d'un bien en droit

Par Eric Causin

Mardi 14.03.06

Diverses circonstances de fait et divers contextes juridiques peuvent amener les personnes et les praticiens du droit à devoir déterminer la valeur d’un bien : déclaration de succession, cession d’actions, variation d’actif net à l’impôt des sociétés, expropriation, perte d’un droit au bail, extinction d’une agence commerciale, partage, cession de fonds de commerce, responsabilité civile, indemnité d’assurance, comptes annuels, inventaire…

Le bien peut consister dans un droit patrimonial : droit réel principal (sur un immeuble ou un meuble), droit intellectuel ou assimilé (brevet, droit d’auteur…), droit de créance de somme ou autre que de somme (par exemple, le droit au bail).

Tous ces cas concernent des biens au sens juridique strict du terme.

Du point de vue de la valeur, cependant, il est parfois plus pertinent de considérer un ensemble de droits patrimoniaux que ses éléments constitutifs ; c’est le cas, par exemple, d’un fonds de commerce, d’une entreprise, voire d’une collection d’œuvres d’art.

En pareilles hypothèses, le support du bien reste fondamentalement juridique, mais l’unité économique déterminant la valeur transcende l’unité juridique ; dès lors, au sens large du terme, pour les besoins de l’évaluation, la notion juridique de bien s’applique autant à un ensemble de droits qu’aux droits eux-mêmes.

Un critère fondamental d’évaluation domine toutes les particularités observables dans les règles et dans la pratique du droit ou des affaires : ce critère est la fonction du bien considéré dans le patrimoine considéré ou pour la personne concernée par l’évaluation.

A quoi sert ce bien dans ce patrimoine ou pour cette personne ? Telle est la question fondamentale à se poser pour fournir une évaluation pertinente. Ce critère déjoue d’emblée la croyance courante selon laquelle la valeur d’un bien serait une donnée parfaitement unique et objective : nécessairement la même pour tous, déterminable de façon certaine et indiscutée par des experts.

En réalité, tout bien peut se voir reconnaître des valeurs différentes, et l’évaluation d’un bien repose sur des variables partiellement subjectives, au sens noble du terme, c’est-à-dire relevant des choix de la personne qui évalue et pour laquelle on évalue. En ce sens, il existe des valeurs pertinentes, il n’existe pas de valeur vraie.

Pour échapper à cette mouvance de la valeur, le droit comptable a longtemps obligé les entreprises à s’en tenir à leurs coûts historiques : comme la plupart des biens d’une entreprise sont acquis par des actes à titre onéreux, pour déjouer les risques de discussion et de subjectivité il suffisait de fixer la valeur au montant à payer en vertu de l’acte d’acquisition.

Le critère dominant ou en tout cas premier de toute évaluation était donc la valeur d’acquisition.

Une conception plus dynamique de la comptabilité a conduit les praticiens, puis le législateur, à élargir le raisonnement par la mise en œuvre de critères visant à intégrer la fonction du bien dans le patrimoine considéré ou pour la personne concernée.

Par exemple, pour l’information du propriétaire d’un immeuble ou de titres cotés en bourse, au coût historique de ce bien depuis des années, voire des décennies, il faut préférer sa valeur vénale courante. Par contre, du point de vue de la contribution d’une machine à la valeur d’une entreprise, ni la valeur d’acquisition ni la valeur vénale courante ne sont pertinentes : la machine vaut, ni plus ni moins, sa contribution dans le coût de revient ou dans le prix de vente de la production de l’entreprise.

Ainsi a donc émergé, comme critère fondamental de toute évaluation, la fonction du bien dans le patrimoine considéré ou pour la personne concernée.

En comptabilité et en droit comptable, partant de la fonction, on procède à deux distinctions.

On examine d’abord si l’entreprise est en état de continuité ou, au contraire, en état effectif ou prévisible de liquidation.

Dans la seconde hypothèse, la fonction du bien se limite à la réalisation (la vente) et, en général, cette réalisation passe par un démantèlement total ou partiel de l’ensemble.

La valeur de réalisation est, dans ce cas, une valeur vénale basse, dite parfois « valeur à casser » ; en matière immobilière, on parle aussi de « valeur foncière » pour viser la valeur basse d’un immeuble bâti, définie comme étant la valeur du terrain après démantèlement du bâtiment et évacuation de ses débris.

En situation de continuité de l’entreprise (« going concern »), la valeur d’un bien dépend de sa fonction spécifique dans l’entreprise : certains biens sont destinés à être vendus ou sont disponibles à la vente, d’autres sont destinés à être utilisés comme moyens de production des produits ou services de l’entreprise.

Pour les biens de la première catégorie, le critère pertinent de l’évaluation est la valeur vénale ou valeur de marché (« market value ») ; pour les biens de la seconde catégorie, le critère pertinent est la valeur d’utilisationvalue in use »).

Ces distinctions recoupent ce qui peut être induit du concept juridique classique de bien. En effet, dans l’enseignement du droit des biens, on distingue trois attributs susceptibles d’être attachés à un droit patrimonial : l’usage (utilisation en nature par le titulaire du droit), la jouissance (utilisation en équivalent : exemple, mise en location et perception des revenus) et la disposition (modification de la substance ou aliénation).

La valeur d’utilisation se rapporte au bien considéré dans son usage. Par exemple, pour le propriétaire qui l’occupe, la valeur d’une maison d’habitation est l’ensemble des dépenses qu’il lui faudrait consentir pour acquérir et s’installer dans un lieu semblable par ses qualités objectives et subjectives : il s’agit de la valeur de remplacement, y compris la valeur de convenance.

La valeur d’utilisation concerne aussi le bien considéré dans sa jouissance. Par exemple, pour le propriétaire d’un immeuble de rapport, la valeur du bien correspond au montant du capital qui, placé dans des conditions analogues de risque et de charges, lui donnerait un revenu net identique ; il s’agit d’une valeur capitalisée, c’est-à-dire d’une valeur calculée par capitalisation d’un revenu, ce qui suppose l’application d’un taux d’actualisation (coefficient couplant une durée et un taux d’intérêt).

Lorsque le bien est constitué par un ensemble, l’évaluation repose souvent sur l’application combinée de plusieurs critères. Par exemple, la valeur d’une entreprise repose, en première approche, sur sa valeur comptable nette, c’est-à-dire sur la valeur de son actif moins la valeur de ses dettes.

L’évaluation commence donc par l’inventaire, en nature et en valeur, des éléments constitutifs de l’actif et des dettes, ce qui implique généralement des réductions de valeur à l’actif (exemple : les frais d’établissement) et des ajustement vers le haut du passif (exemples : provisions pour charges ou compte de régularisation).

Ensuite, les valeurs d’acquisition doivent généralement être ajustées, vers le haut ou vers le bas, en fonction de la valeur d’usage pour les biens affectés à l’exploitation, et de la valeur vénale pour les autres.

Enfin, à l’actif net dûment corrigé et constituant la base de la valeur de cette entreprise, on doit parfois ajouter une valeur de goodwill.

En effet, si, par rapport au montant de l’actif comptable net, le taux des bénéfices générés de façon récurrente par cette entreprise dépasse le taux de rendement usuel des capitaux à risque, ce surplus est la source d’un complément de valeur que le compte de résultats atteste mais que le bilan n’intègre pas, et qui doit donc être ajouté à la valeur comptable bilantaire.

Cette valeur de goodwill se calcule en capitalisant le superbénéfice de l’entreprise.

Les distinctions ci-dessus évoquées ne sont qu’un hors-d’œuvre par rapport à la panoplie des sous-critères ainsi que des combinaisons de critères et sous-critères susceptibles d’être mis en œuvre.

La complexité du processus d’évaluation et des discussions juridiques en la matière, tient à ce que les variables théoriques possibles sont nombreuses, que leur pertinence en fait est souvent discutable et que les règles de droit en la matière sont rarement précises ou limitatives.

La valeur d’un bien en droit n’est donc jamais donnée, elle doit toujours être construite.




Eric Causin
Avocat au barreau de Bruxelles - Bailleux & Causin




Pour de plus amples informations en Droit Comptable, consultez la rubrique Fiches Pratiques (www.droit-comptable.be).





Source : DroitBelge.Net - En pratique - 14 mars 2006


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