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Du nouveau pour l' excusabilité du failli et la décharge de la caution

Par Michel Forges

Lundi 01.08.05

Le Moniteur du 28 juillet 2005 publie la loi du 20 juillet 2005 qui modifie la loi du 8 août 1997 sur les faillites, et spécialement les articles 80 à 82 de celle-ci.

Cette loi, que la jurisprudence de la Cour d’arbitrage avait rendue indispensable revêt une importance considérable pour les personnes qui se sont portées cautions d’une personne physique déclarée en faillite.

La loi contient en outre des dispositions transitoires qui imposent des délais de réaction très brefs aux créanciers et aux cautions, à dater de son entrée en vigueur.


I. La jurisprudence de la Cour d’arbitrage et la décharge de la « caution de bienfaisance »

Le 28 mars 2002, la Cour d’arbitrage décidait qu’ « en ce qu’il ne permet en aucune manière qu’un juge puisse décharger de leur engagement le conjoint ou la caution du failli déclaré excusable, l’article 82 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites viole les articles 10 et 11 de la Constitution ».

Quelques mois plus tard, la loi du 4 septembre 2002 modifiait la loi du 8 août 1997 sur les faillites en créant la décharge de la caution dite « de bienfaisance ».

L’article 82 précisait alors que « l’excusabilité éteint les dettes du failli et décharge les personnes physiques qui, à titre gratuit, se sont rendues caution de ses obligations. Le conjoint du failli qui s’est personnellement obligé à la dette de son époux est libéré de cette obligation par l’effet de l’excusabilité ».

Cette disposition n’a pas dissipé tout malentendu.

Par un arrêt du 30 juin 2004 (n°114/2004 ; v. not. JLMB, 2004, p. 1309 et obs. RENARD J.P. ; RW, 2004-2005, p. 662 et note VANMEENEN M.), la Cour d’arbitrage a annulé l’article 82 al. 1er de la loi du 8 août 1997, modifié par loi du 4 septembre 2002 (WINDEY J. et DRIESEN K., Les effets de l’excusabilité sur la situation des cautions et du conjoint à la lumière de la jurisprudence récente de la Cour d’arbitrage, RDC, 2004, p. 889).

Pour la Cour d’arbitrage, la distinction, en ce qui concerne l’excusabilité, entre le failli, pour l’excusabilité duquel le tribunal peut examiner la manière dont il a exercé son commerce, et la caution à titre gratuit, dont la décharge était automatique, quelle que soit sa situation de fortune, imposait aux créanciers un sacrifice disproportionné.

La Cour d’arbitrage considérait en outre que les personnes qui ont donné leur caution à titre gratuit au bénéfice d’un parent exerçant le commerce sous la forme d’une société se trouvent, en cette qualité, dans une situation qui n’est pas essentiellement différente de celle des parents d’un commerçant exerçant en personne physique.

La Cour d’arbitrage en a conclu qu’alors que, pris isolément, l’exclusion de la personne morale du bénéfice de l’excusabilité, d’une part, et l’exclusion des autres cautions que les cautions à titre gratuit de l’excusabilité, d’autre part, ne violent pas les principes d’égalité et de non-discrimination, leur combinaison aboutit à une discrimination (v. le compte-rendu de HENRY P. et ABU DALU F., La Cour d’arbitrage et l’excusabilité : un difficile équilibre entre justice sociale et égalité, JT, 2005, p. 73 et suiv. et spéc. p. 77).

La Cour d’arbitrage décida dès lors d’annuler les articles 81, 1o et 82, alinéa 2 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, bien qu’ils ne soient pas jugés discriminatoires en soi, « afin que le législateur puisse réexaminer l’ensemble des questions posées par l’excusabilité et par le cautionnement à titre gratuit ».

Les effets des dispositions annulées ont cependant été maintenus jusqu’à l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions et, au plus tard, jusqu’au 31 juillet 2005.

Une nouvelle loi était nécessaire.


II. La loi du 2 février 2005

Le Moniteur du 21 février 2005 a publié la loi du 2 février 2005 qui modifiait l’article 82 al. 2 de la loi du 8 août 1997 en précisant que :

« Le conjoint du failli qui est personnellement obligé à la dette de son époux est libéré de cette obligation par l’effet de l’excusabilité ».

Cette loi correspondait à une proposition qui avait été déposée par M. WATHELET (doc 51, 1320/001) ; elle ne tenait pas compte de l’enseignement des derniers arrêts de la Cour d’arbitrage et de l’éventuelle excusabilité des personnes morales.


III. La loi du 20 juillet 2005

La loi du 20 juillet 2005 modifie plusieurs dispositions de la loi sur les faillites; quatre points essentiels doivent être soulignés.


1. La suspension des voies d’exécution à charge de la « caution de bienfaisance »

Depuis la modification de l’article 82 par la loi du 4 septembre 2002, on se demandait comment la caution devait s’y prendre, pour invoquer le bénéfice de cet article, lorsqu’elle était attaquée par un créancier avant que le tribunal de commerce n’ait pu se prononcer sur l’excusabilité (Civ. Tournai, 10 décembre 2003, Ann. Jur. Crédit, 2003, éd. 2004, p. 270 et note FORGES M.)

La loi n’énonçait pas de solution, et rien n’interdisait au créancier d’introduire son action contre les cautions avant que la faillite ne soit clôturée : strictement, la caution de bienfaisance ne pouvait invoquer le bénéfice de l’excusabilité du failli avant que celle-ci ne lui ait été effectivement accordée (VANMEENEN M. et de THEIJE M., Roeien met de gegeven riemen : een praktische benadering van de verschoonbaarheid, R.W., 2004, p. 1554) et, a fortiori, avant que la faillite n’ait été déclarée.

La loi du 20 juillet 2005 a choisi de paralyser les voies d’exécution ; elle introduit un article 24bis, rédigé comme suit : «à compter du même jugement, sont suspendues jusqu'à la clôture de la faillite les voies d'exécution à charge de la personne physique qui, à titre gratuit, s'est constituée sûreté personnelle du failli».


2. La possibilité de décharge des cautions de bienfaisance qui prouvent qu’elles ont pris des engagements disproportionnés

La loi du 20 juillet 2005 met fin à la décharge automatique des cautions de bienfaisance.

Désormais, le tribunal déchargera en tout ou en partie les personnes physiques qui, à titre gratuit, se sont constituées sûreté personnelle du failli si elles prouvent qu’elles ont pris des engagements disproportionnés par rapport à leurs revenus et à leur patrimoine, pour autant que ces personnes n’aient pas frauduleusement organisé leur insolvabilité.

En vertu des articles 72bis et 72ter nouveaux, pour bénéficier éventuellement de la décharge, les personnes physiques qui, à titre gratuit, se sont constituées sûreté personnelle du failli devront avoir déposé au greffe une « déclaration attestant que leur obligation est disproportionnée à leurs revenus et à leur patrimoine ».

Cette déclaration devra s’appuyer sur la dernière déclaration fiscale, un relevé de la situation patrimoniale globale et « toute autre pièce de nature à établir avec précision l'état des ressources et des charges ».

Enfin, tant le failli que la caution pourront désormais demander qu’il soit statué sur l'excusabilité ou sur la décharge des cautions six mois après la date du jugement déclaratif de faillite.


3. La loi exclut clairement l’excusabilité de la personne morale faillie

Par un arrêt du 28 octobre 2004 (n°169/2004), la Cour d’arbitrage a confirmé sa jurisprudence, et l’annulation des articles 81,1° et 82 al. 1er, en soulignant qu’en excluant les personnes morales du bénéfice de l’excusabilité, le législateur avait introduit un second automatisme, qui aboutissait à créer une discrimination parmi les cautions à titre gratuit.

La loi du 20 juillet 2005 ne répond pas directement à cette décision ; elle rétablit en effet l'article 81, « qui avait été remplacé par la loi du 4 septembre 2002, dont le 1° avait été annulé par l'arrêt n° 114/2004 de la Cour d'arbitrage du 30 juin 2004, et dont le 2° avait été annulé par l'arrêt n° 28/2004 de la Cour d'arbitrage du 11 février 2004 », dans la rédaction suivante :

«La personne morale faillie ne peut pas être déclarée excusable».


4. Le droit transitoire : quid des faillites en cours ?

La loi du 20 juillet 2005 entrera en vigueur dans les dix jours de sa publication.

Pour les faillites en cours et non encore clôturées au moment de l'entrée en vigueur de la loi, le régime suivant est d'application :

1° les créanciers qui bénéficient d'une sûreté personnelle doivent déposer au greffe dans les trois mois une déclaration complémentaire mentionnant le nom, prénom et adresse de la caution.

A défaut pour le créancier d’avoir effectué cette formalité, la caution sera déchargée.

2° les curateurs devront avertir les cautions dès que celles-ci seront connues et au plus tard dans les quatre mois.

3° les cautions disposent d’un délai de cinq mois pour déposer au greffe une « déclaration attestant que leur obligation est disproportionnée à leurs revenus et à leur patrimoine » faute de quoi elles ne pourront être déchargées.


La loi du 20 juillet 2005 marque une nouvelle étape dans les relations entre le cautionnement et la faillite...ce ne sera pas la dernière.





Michel Forges
Avocat associé, barreau de Bruxelles - www.faberinter.be
Chargé d’enseignement à l’Université de Mons-Hainaut
Juge suppléant au Tribunal de Commerce de Bruxelles









Source : DroitBelge.Net - Actualités - 1er août 2005


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