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Les paris en ligne: état des lieux

Par Bertrand Géradin

Mardi 10.05.05

Introduction : l’interdiction de principe…

Les jeux de hasard, et plus particulièrement les paris, ont toujours suscité des passions diverses : bien qu’interdits au nom de la morale, ils sont strictement règlementés par les Etats et pratiqués par eux en monopole, ce qui génère une source non négligeable de profits.

L’interdiction de principe et le monopole sont les deux facettes contradictoires de la pratique des paris, telle qu'organisée par la loi du 7 mai 1999.

Cette loi comporte dans un premier temps à l’article 4 une interdiction totale d’exploiter, en quelque lieu, sous quelque forme et de quelque manière directe ou indirecte que ce soit, un ou plusieurs jeux de hasard ou établissements de jeux de hasard autres que ceux autorisés par ladite loi.

Dans un second temps, une série d’autorisations sont concédées par l’article 3. Citons pour mémoire les loteries à but non lucratif, les jeux et paris relatifs à l’exercice de sports, les jeux, loteries et paris organisés dans les parcs d’attraction ou par des industriels forains…

A ces derniers, il faut ajouter les établissements ayant reçu une autorisation expresse de la Commission des jeux de hasard (article 4 al. 2) et les jeux et paris organisés par l’Etat lui-même.


…Vaut aussi sur Internet !

Si les paris sont interdits lorsqu’ils sont pratiqués dans des établissements fixes et sans autorisation préalable, qu’en est-il des paris sur Internet ?

En vertu de la loi du 7 mai 1999, les paris en ligne sont de la même manière interdits, par extension de l’article 4, et ceci sans distinction aucune quant au lieu à partir duquel ces paris sont proposés (application de la théorie d’ubiquité objective). En ce sens, proposer des paris sur Internet à partir d’un site web se trouvant à l’étranger est illégal en Belgique.

Notons que ces interdictions ne valent qu’à défaut d’autorisation expresse, laquelle vaut également pour les paris en ligne. Dans le cadre de la législation actuelle, la seule possibilité de proposer légalement de tels jeux de hasard sur Internet est d’obtenir une autorisation de la Commission des jeux de hasard (article 4 al. 2 de la loi du 7 mai 1999).

Toutefois, il y a lieu de tenir compte de la législation européenne et surtout la récente jurisprudence de la Cour de Justice en la matière : un arrêt du 6 novembre 2003 (C.J.C.E., 6 nov. 2003, Piergiorgio Gambelli e.a., C-243/01 ; L. Idot, Europe, janvier 2004, pp. 18-19 ; B. Miss, C. Avignon, Gaz. Pal., 22 avril 2004, n° 113, p. 37) nous motive à remettre en cause la cohérence de la législation belge.


Nuances : la jurisprudence de la Cour de Justice

La Cour a censuré à cette occasion la législation italienne en matière de paris en ligne, aux motifs qu’un Etat ne peut dans un même temps invoquer l’ordre social et la nécessité de réduire les occasions de jeu et inciter, voire encourager parallèlement les consommateurs à participer aux jeux d’argent qu’il contrôle et dont il retire les bénéfices financiers (C.J.C.E. 6 nov. 2003, Gambelli, op. cit., n° 63, 69 et 73).

Face à ce nouvel aspect du paradoxe des jeux étatisés, la Cour a considéré, tout en laissant la décision finale aux juridictions italiennes, que condamner un bookmaker anglais utilisant le web pour proposer des paris en Italie sur base de la moralité était une mesure disproportionnée quant au but à atteindre, dans la mesure où la réglementation étatique facilite elle-même les pratiques jugées immorales.

Les restrictions posées par la loi italienne à la libre pratique de toute activité économique doivent être selon la Cour justifiées par l’intérêt général, non discriminatoires et non disproportionnées par rapport à l’objectif poursuivi. Ces restrictions et dérogations doivent de plus s’apprécier strictement.

Cette appréciation vaut d’autant plus dans l’hypothèse belge, où les produits proposés par la Loterie Nationale sont encadrés par une politique de marketing omniprésente, concomitamment à la transformation récente de cette même Loterie Nationale en une société anonyme de droit public ayant pour mission d’organiser dans l’intérêt général et selon des méthodes commerciales des loteries, des jeux de hasard et toutes les formes de paris et concours (article 4 du contrat de gestion du 27 mars 2003 entre l'Etat belge et la Loterie Nationale, société anonyme de droit public).

Tout porte à croire, à la lecture de cet arrêt, que la Cour n’en jugerait pas autrement et condamnerait franchement les règlementations nationales contraires si elle venait à être saisie directement d’un tel litige. Il y a en effet lieu de se poser la question de la cohérence de la législation belge, dans la mesure où la légitimation du monopole étatique est basée sur la moralité et sur une réduction de l’offre des jeux d’argent.


Conclusion : état des lieux

En conclusion, face à ce nouvel aspect d’extranéité des paris en ligne, il y a lieu de rester nuancé : dans l’état actuel des choses, l’on ne peut que conseiller la prudence.

D’une part, les paris en ligne sont et restent interdits en Belgique par la loi du 7 mai 1999.

D’autre part, tout porte à croire que cette matière est susceptible d’évolution au vu de la récente jurisprudence de la Cour, dans la mesure où le monopole de la Belgique en la matière est plus que susceptible d’être considéré comme disproportionné quant à l’objectif tel qu’il est mis en avant, à savoir la réduction du volume de jeux de hasard proposés en Belgique.

L’interdiction de proposer des jeux et paris en ligne en Belgique devient donc de plus en plus relative, bien que restant sévèrement punie dans son principe (voir les articles 63 et suivants de la loi du 7 mai 1999), ce qui ne constitue en définitive qu’un paradoxe de plus pour le petit monde des parieurs.






Bertrand Géradin
Avocat au barreau de Bruxelles - BMG Avocats







Source : DroitBelge.Net - Actualités - 10 mai 2005


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