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La transaction dans les affaires de cartel



Un moyen de clôturer plus rapidement une procédure d'infraction au droit de la concurrence.


Introduction

Depuis le 1er juillet 2008, la Commission européenne ("la Commission") dispose d'un nouvel instrument dans les procédures engagées en vue de l'application de l'article 81 du traité CE à des affaires d'ententes (aussi dénommées cartels) (cf. note 1) : la transaction.

Cette procédure permet de régler les affaires d'ententes par une procédure simplifiée. En bref: si des entreprises auxquelles la Commission reproche d'avoir participé à une entente anti-concurrentielle reconnaissent leur responsabilité en la matière, elles peuvent éventuellement bénéficier d'une réduction de 10% de l'amende qui leur est infligée.

Le but poursuivi est double:

- régler les affaires de cartels plus rapidement et plus efficacement, de manière à traiter un plus grand nombre de dossiers avec les mêmes ressources au sein de la Commission;

- réduire le volume des affaires de cartel traitées par les juridictions communautaires.

En effet, la plupart du temps, les parties reconnues coupables, par la Commission, de participation à une entente n'engagent pas d'action judiciaire pour contester l'existence de l'entente ou leur implication dans cette dernière mais essentiellement pour réduire le montant de l'amende qui leur est infligée. La transaction permet aux entreprises d'atteindre ce résultat sans passer par une procédure judiciaire et à la Commission de faire des économies de procédure.

Le cadre législatif relatif à la procédure de transaction se compose de deux documents:

- le règlement n° 622/2008 de la Commission du 30 juin 2008 (cf. note 2) ;

- une communication de la Commission détaillant la nouvelle procédure (cf. note 3) ).

Ce nouvel instrument s'intègre dans l'arsenal législatif existant en matière de pratiques anti-concurrentielles (cf. note 4) .

La procédure en vue de l'adoption d'une décision de transaction se compose des phases suivantes:

- Phase exploratoire en vue d'une transaction
- Discussions bilatérales en vue d'une transaction
- Proposition de transaction
- Communication des griefs ayant fait l'objet de la transaction
- Décision de transaction


Première phase: phase exploratoire en vue d'une transaction

La Commission dispose d'une large marge d'appréciation pour identifier les affaires qui pourraient se prêter à une transaction, en fonction des éléments concrets du dossier (nombre de parties, divergences de vues prévisibles quant à l'attribution des responsabilités, étendue de la contestation des faits, etc.). A tout moment, la Commission peut mettre fin à la procédure de transaction, par exemple si elle constate que les entreprises impliquées dans l'entente se concertent en vue de faire disparaître des preuves de leur infraction.

Les entreprises accusées d'une entente ne disposent pas d'un droit au règlement transactionnel, même si elles peuvent manifester de manière spontanée auprès de la Commission leur intérêt pour un éventuel règlement transactionnel de la procédure engagée contre elles. Elles n'ont pas davantage l'obligation de conclure une transaction.


Demande de manifestation d'intérêt à prendre part à des discussions en vue d'une transaction

Si la Commission estime que le cas d'espèce est propice à une éventuelle transaction, elle invite les entreprises concernées à exprimer, par écrit, leur souhait de participer à des discussions ("demande de manifestation d'intérêt à prendre part à des discussions en vue de parvenir à une transaction" (cf. note 5) ).

Au plus tard au moment de l'envoi de cette demande, la Commission doit avoir ouvert une procédure en vue d'adopter une décision constatant et ordonnant la cessation d'une infraction à l'article 81 du traité CE (cf. note 6) .


Déclaration écrite confirmant être disposé à prendre part à des discussions

La Commission laisse un délai de deux semaines au moins aux entreprises concernées pour déclarer par écrit si elles sont disposées à prendre part à de telles discussions.

Le fait que les entreprises concernées répondent favorablement à la demande de la Commission, cela ne signifie nullement qu'elles reconnaissent avoir participé à une quelconque infraction, ni qu'elles en assument la responsabilité.


Représentation commune

Lorsque la Commission ouvre une procédure pour violation de l'article 81 du traité CE contre deux ou plusieurs entreprises appartenant à la même entreprise, elle indiquera à chacune d'entre elles quelles autres personnes morales faisant partie de la même entreprise sont concernées par la procédure.

Dans un tel cas, si les parties considérées souhaitent entamer des discussions de transaction, elles doivent désigner une représentation commune habilitée à agir en leur nom avant l'expiration du délai mentionné ci-dessus.

La désignation d'une représentation commune vise uniquement à faciliter les discussions de transaction.


Deuxième phase: discussions bilatérales en vue d'une transaction


Marge d'appréciation de la Commission

Lorsque certaines parties à la procédure ont demandé l'ouverture de discussions en vue d'une transaction, la procédure se poursuit par des contacts bilatéraux entre la direction générale de la concurrence de la Commission (dite "DG Concurrence") et les candidats à la transaction.


Une fois que la procédure de transaction a été entamée, la Commission peut décider, à toute étape de la procédure, de mettre fin aux discussions menées en vue d'une transaction dans un cas particulier ou à l'égard d'une ou de plusieurs parties. En effet, la Commission dispose d'une marge d'appréciation pour déterminer l'opportunité de mener des discussions bilatérales avec chaque entreprise en vue de parvenir à une transaction et leur rythme.


Communication anticipée de certaines informations

La Commission peut communiquer les informations suivantes aux parties prenant part aux discussions de transaction:

• les griefs que la Commission envisage de soulever à leur encontre;
• les preuves utilisées pour formuler les griefs envisagés;
• des versions non confidentielles de tout document accessible figurant dans le dossier de l'affaire à ce moment-là, pour autant que la demande de la partie en cause se justifie pour lui permettre de préciser sa position concernant une période donnée ou tout autre aspect du cartel; et
• la fourchette des amendes probables.

Ces informations seront communiquées en temps voulu, au fur et à mesure de l'avancement des discussions en vue de parvenir à une transaction.

La communication anticipée de ces informations dans le cadre des discussions permet aux parties d'être informées des éléments essentiels pris en considération à ce stade:

• les faits allégués et leur qualification;
• la gravité et la durée du cartel allégué;
• l'attribution des responsabilités;
• une estimation des fourchettes d'amendes probables; et
• les éléments de preuve utilisés à l'appui des griefs éventuels.

Ces informations permettent aux parties de faire valoir leur point de vue sur les griefs qui pourraient être invoqués à leur encontre et de décider, en connaissance de cause, de conclure une transaction ou non à ce sujet.


Appréciation commune

Lorsque les progrès des discussions débouchent sur une appréciation commune de l'étendue des griefs éventuels et de l'estimation de la fourchette probable des amendes infligées par la Commission et que celle-ci estime a priori, à la lumière des progrès accomplis globalement, que cette procédure sera la plus efficace, la Commission accorde un délai d'au moins quinze jours ouvrables, de manière à permettre à l'entreprise ou aux entreprises en cause de présenter une proposition de transaction définitive.

Si les parties en cause ne présentent pas de proposition de transaction, la procédure en constatation d'infraction se poursuivra suivant les règles générales et non plus suivant les règles qui régissent la procédure de transaction.


Troisième phase: proposition de transaction

Les parties qui ont opté pour la transaction doivent présenter une demande officielle de transaction sous forme de proposition de transaction.

Les éléments suivants doivent figurer dans la proposition:

(a) une reconnaissance en termes claires et sans équivoque, par les parties, de leur responsabilité dans l'infraction, sous forme de résumé mentionnant (i) l'objet de l'infraction, (ii) son éventuelle mise en œuvre, et (iii) les principaux faits et leur qualification juridique, y compris le rôle de chaque partie ainsi que la durée de leur participation à l'infraction, conformément aux résultats des discussions de transaction;

(b) une indication du montant maximum des amendes que les parties s'attendent à se voir infliger par la Commission et qu'elles accepteraient dans le cadre d'une procédure de transaction;

(c) la confirmation, par les parties, qu'elles ont été suffisamment informées sur les griefs que la Commission envisage de leur adresser et qu'elles ont eu suffisamment l'occasion de faire connaître leur point de vue à la Commission;

(d) la confirmation, par les parties, qu'eu égard à ce qui précède, elles ne demandent pas de demander l'accès au dossier ou à être entendues de nouveau, lors d'une audition orale, à moins que la communication des griefs et la décision de la Commission ne reflètent pas leur proposition de transaction; et

(e) l'accord des parties de recevoir la communication des griefs et la décision finale dans une langue officielle de la Communauté européenne.

La reconnaissance de responsabilité et les confirmations fournies par les parties sont subordonnées à l'acceptation, par la Commission, de la proposition de transaction présentée par les parties, notamment en ce qui concerne le montant maximum prévu des amendes.



Quatrième phase: communication des griefs de la Commission et réponse

La notification, par écrit, d'une communication des griefs (cf. note 7) par la Commission à chacune des entreprises concernées constitue une étape préparatoire obligatoire dans toute procédure en matière de pratiques anticoncurrentielles. Cette communication doit, en effet, précéder toute décision de la Commission qui affecte leurs droits d'une manière négative. C'est pourquoi, même dans le cadre d'une procédure de transaction, la Commission adresse une communication des griefs aux entreprises.

Comme la proposition de transaction des parties lui a été communiquée précédemment, la Commission en tient compte pour rédiger sa communication des griefs.

La communication des griefs peut refléter ou non les propositions de transaction des parties:


A. La communication des griefs reflète les propositions de transaction des parties

Si la communication des griefs reflète les propositions de transaction des parties, ces dernières doivent y répondre dans le délai (au moins deux semaines) fixé par la Commission.

Les parties devront confirmer simplement, en termes non équivoques, que la communication des griefs correspond à la tenue de leurs propositions de transaction et que, dès lors, leur engagement de suivre la procédure de transaction n'est pas remis en cause.

En l'absence de réponse, la Commission prend note du non-respect, par la partie, de son engagement et peut rejeter la demande de celle-ci de suivre la procédure de transaction.


B. La communication des griefs ne reflète pas les propositions de transaction des parties

La Commission conserve le droit d'adopter une communication des griefs qui ne reflète pas la proposition des parties.

Dans ce cas, les éléments reconnus par les parties dans la proposition de transaction seront réputés avoir été retirés et ne seront être retenus contre elles dans la procédure.

Les parties ne seront plus liées par leurs propositions de transaction. Elles se verront accorder, sur demande, un délai pour présenter leur défense à nouveau, et notamment la possibilité d'avoir accès au dossier et de demander une audition.


Cinquième phase: décision de la Commission


Décision de la Commission

Une fois que les parties ont confirmé, en réponse à la communication des griefs, leur engagement de parvenir à une transaction, la Commission a le choix entre deux options:

• soit elle procède, sans autre acte de procédure, à l'adoption d'une décision de transaction, après consultation du comité consultatif en matière d'ententes (comité composé de représentants des autorités de concurrence des Etats membres).

• soit elle adopte une position finale qui s'écarte de la position initiale qu'elle a exprimée dans une communication des griefs entérinant les propositions de transaction.

Dans le dernier cas, la Commission notifiera aux parties une nouvelle communication des griefs afin de leur permettre d'exercer leur droit de défense conformément aux règles générales de procédure applicables. Les éléments reconnus par les parties dans les propositions de transaction seront réputés avoir été retirés et ne pourront être retenus contre aucune des parties à la procédure.


Récompense de 10%

Le plafond des amendes susceptibles d'être infligées à une entreprise pour infraction à l'article 81 du traité CE s'élève à 10% du chiffre d’affaires total qu'elle a réalisé au cours de l’exercice social précédent celui au cours duquel l'amende lui est infligée (cf. note 8) (cf. note 9) .

Si la Commission décide de récompenser une partie pour une transaction, elle réduira de 10% le montant de l'amende à infliger après application du plafond de 10% décrit au paragraphe ci-dessus.



Lien avec la procédure de clémence

Dans le cadre de la procédure de transaction, la Commission ne négocie pas l'utilisation de preuves ni la sanction appropriée, mais peut récompenser les parties pour leur coopération afin de faire des économies de procédure.

Une telle coopération diffère de la procédure de clémence (cf. note 10) qui vise à récompenser la fourniture volontaire de preuves visant à déclencher ou faire avancer l'enquête de la Commission. L'entreprise "repentie" qui communique à la Commission des informations suffisantes quant à l'existence d'un cartel auquel elle a participé, peut ainsi bénéficier d'une immunité d'amende ou d'une réduction de l'amende qui devrait en principe lui être infligée.

Les deux procédures peuvent se cumuler. Une entreprise qui a fourni à la Commission des informations ayant fait progresser son enquête peut, à ce titre, prétendre à une réduction d'amende, et pourra bénéficier d'une réduction supplémentaire si elle accepte de suivre la procédure de transaction.


Appel contre la décision de transaction

Une entreprise qui fait l'objet d'une décision de transaction conserve le droit d'interjeter appel contre cette décision devant le Tribunal de Première Instance des Communautés européennes.





Bénédicte Raevens (Avocat associé au cabinet McGuireWoods Bruxelles)

Pol Cools (Avocat au cabinet McGuireWoods Bruxelles)




Notes:


(1) Voir Glossaire.

(2) Règlement (CE) N° 622/2008 de la Commission du 30 juin 2008 modifiant le règlement (CE) n° 773/2004 en ce qui concerne les procédures de transaction engages dans les affaires d'entente, JO L 171/3 du 01.07.2008.

(3) Communication de la Commission relative aux procédures de transaction engagées en vue de l'adoption de décisions en vertu des articles 7 et 23 du règlement (CE) N° 1/2003 du Conseil dans les affaires d'entente, JO C 167/1 du 02.07.2008.

(4) Ainsi, le règlement N° 622/2008 modifie le règlement N° 773/2004 de la Commission du 7 avril 2004 relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles 81 et 82 du traité CE, JO L 123 du 27.04.2004.

(5) Nouvel article 2, paragraphe 1 du règlement N° 773/2004.

(6) Conformément à l'article 9 du Règlement N° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité CE, JO L 1 du 04.01.2003, p. 1

(7) Voir Glossaire.

(8) Art. 23 § 2 du Règlement N° 1/2003.

(9) Voir Fiche pratique sur les amendes.

(10) Voir Fiche pratique sur la clémence.

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