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Le déroulement d'une enquête de la Commission européenne en matière de concurrence



La Commission européenne ("la Commission") dispose de pouvoirs d'investigation et de sanction qui lui permettent de mettre au jour des infractions au droit communautaire de la concurrence et de punir leurs auteurs.

Lorsque la Commission constate une infraction aux dispositions de l'article 81 (voir note 1) ) ou de l'article 82 (voir note 2) du traité CE, elle a le pouvoir d'obliger, par voie de décision, les entreprises et les associations d'entreprises concernées à y mettre fin (voir note 3) .

Outre la Commission, les autorités nationales de concurrence sont également compétentes pour poursuivre et sanctionner par l'imposition d'amendes les infractions au droit communautaire de la concurrence (voir note 1) . Les autorités nationales de concurrence sont également chargées d'assurer le respect du droit national de la concurrence. En Belgique, l'autorité nationale de la concurrence est composée du Conseil de la Concurrence (voir note 5) et du Service de la Concurrence (voir note 6) .

Le présent exposé détaille le déroulement d'une procédure d'enquête par la Commission.


A. OUVERTURE DE L'ENQUÊTE

La Commission peut découvrir l'existence d'un accord ou d'une pratique susceptible de restreindre la concurrence suite à la réception d'une plainte ou à l'issue d'une enquête menée d'initiative par la Commission.


1. Plainte

Les personnes physiques ou morales qui font valoir un intérêt légitime et les Etats Membres peuvent déposer une plainte. La Commission a établi un formulaire spécial qui peut être utilisé à cet effet ("formulaire C") (voir note 7) .

La Commission a le devoir d'examiner chacune des plaintes qui lui sont adressées.

Si la Commission décide de traiter la plainte, le plaignant est invité à participer à la procédure. La Commission lui donne connaissance de la version non confidentielle de la communication des griefs (voir note 8) et le plaignant peut formuler des observations par écrit et participer à l'audition.

Si la Commission considère que les éléments dont elle dispose sont insuffisants pour donner une suite favorable à la plainte, elle doit en indiquer les motifs au plaignant et lui impartir un délai pour présenter par écrit ses observations éventuelles. Si ces observations font apparaître des faits nouveaux de nature à modifier l'opinion de la Commission, celle-ci continuera l'enquête. Dans le cas contraire, elle rejettera la plainte comme non fondée par une décision qui pourra faire l'objet d'un recours devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes ("le T.P.I.").

Si la Commission ne rejette pas immédiatement la plainte, poursuit son enquête et adopte in fine une décision qui écarte, expressément ou implicitement, certains arguments présentés par le plaignant, celui-ci pourra également attaquer la décision devant le T.P.I.


2. Autres événements susceptibles justifier l'ouverture d'une enquête

Outre les plaintes qui lui sont adressées, un certain nombre d'autres facteurs peuvent inciter la Commission à ouvrir une enquête de sa propre initiative. Il peut s'agir par exemple:

- de plaintes informelles ou anonymes;

- d'articles de presse;

- de questions parlementaires;

- d'informations communiquées par les autorités nationales;

- d'informations recueillies au cours d'une enquête sectorielle (voir point B.2 infra);

- d'une demande de clémence par une entreprise.

Il faut également préciser qu'un nombre d'enquêtes sont ouvertes à la suite des informations recueillies par la Commission lors de la notification d'accords de concentrations (par exemple des accords de fusions-acquisitions).


B. LE DÉROULEMENT DE L'ENQUÊTE

La Commission dispose de pouvoirs d'enquête. Ces pouvoirs consistent essentiellement à adresser aux entreprises des demandes de renseignements et à effectuer des vérifications sur place.


1. Demandes de renseignements

Lorsqu'elle soupçonne l'existence d'une infraction aux règles de concurrence, la Commission peut, par simple demande ou par voie de décision, demander aux entreprises et associations d'entreprises de fournir tous les renseignements nécessaires pour lui permettre d'apprécier l'existence ou non d'une infraction au droit de la concurrence (voir note 9) . La Commission peut formuler la même demande auprès des autorités nationales de concurrence des Etats membres.

La Commission doit toujours préciser les bases juridiques et le but de sa demande, que celle-ci ait un caractère formel ou informel.


2. Les enquêtes par secteur économique

Les pouvoirs de la Commission ne se limitent pas à demander aux entreprises la communication de toute information "nécessaire" dans les cas où elle soupçonne une infraction aux règles de concurrence. Elle peut également procéder à des enquêtes sectorielles lorsque les circonstances semblent indiquer une restriction ou une distorsion de concurrence à l'intérieur d'un secteur économique déterminé (voir note 10) .

Ainsi, le 13 juin 2005, la Commission a lancé une enquête sur la banque de détail qui a abouti à la publication d'un rapport le 31 janvier 2007. Cette enquête sectorielle a permis de déceler un certain nombre de symptômes qui indiquent que la concurrence ne fonctionne peut-être pas comme il convient dans certains domaines de la banque de détail.

La Commission utilise les enquêtes sectorielles pour formuler des demandes de renseignements plus ciblées ou procéder à des vérifications auprès des entreprises du secteur concerné.


3. Les vérifications sur place ("dawn raids")

Lorsqu'elle soupçonne l'existence d'une infraction aux règles de concurrence, la Commission peut procéder à des inspections auprès des entreprises et associations d'entreprises (voir note 11) . Pour ce faire, les agents mandatés par la Commission ont le droit d'accéder à tous les locaux, terrains et moyens de transport des entreprises, de contrôler les livres et autres documents professionnels et d'en prendre copie ou extrait, ainsi que de demander sur place des explications orales.

La Commission a également le droit d'accéder aux domiciles privés et véhicules des chefs d'entreprises, des dirigeants et des autres membres du personnel de l'entreprise concernée par la vérification. A cette fin, la Commission doit toutefois obtenir un mandat de perquisition des autorités judiciaires nationales (voir note 12) .


C. ACCÈS AU DOSSIER

Les entreprises impliquées dans une enquête menée par la Commission disposent d'un droit d'accès au dossier de la Commission, sous réserve de l'intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d'affaires ne soient pas divulgués. Le droit d'accès au dossier ne s'étend pas aux informations confidentielles et aux documents internes de la Commission ou des autorités de concurrence des Etats membres.


D. ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE FORMELLE D'INFRACTION

Lorsque les éléments de fait recueillis au cours de l'enquête le justifient, la Commission décide formellement d'engager la procédure. La décision d'engager la procédure est prise par le commissaire chargé des problèmes de concurrence.

Le principal effet de cette décision de la Commission est de mettre fin à la compétence concurrente des autorités de concurrence des Etats membres. En outre, l'engagement de la procédure interrompt la prescription en matière de poursuites.

Depuis le 1er juillet 2008, la Commission dispose d'un nouvel instrument dans les procédures engagées en vue de l'application de l'article 81 du traite CE: la transaction. Cette procédure permet de régler les affaires d'ententes par une procédure simplifiée. En bref: si des entreprises auxquelles la Commission reproche d'avoir participé à une entente anti-concurrentielle reconnaissent leur responsabilité, elles peuvent éventuellement bénéficier d'une réduction de 10% de l'amende qui leur est infligée. (Sur la transaction: voir Fiche pratique sur la transaction)


E. COMMUNICATION DES GRIEFS ("STATEMENT OF OBJECTIONS")

Après l'ouverture de la procédure, la Commission doit communiquer à l'entreprise concernée les griefs retenus à l'encontre de l'accord ou de la pratique en cause. Dans ce document dénommé "communication des griefs", la Commission expose les faits et le raisonnement juridique au terme desquels elle conclut provisoirement à l'existence d'une infraction aux articles 81 et/ou 82 du traité CE, et précise si cette infraction est ou non passible d'une amende.

Dans sa décision finale, la Commission ne pourra retenir contre les entreprises que les griefs exposés dans la communication, puisqu'il s'agit des seuls griefs à propos desquels elles ont eu l'occasion de faire connaître leur point de vue.


F. AUDITION

Les entreprises ont le droit de faire connaître leur point de vue sur les griefs retenus par la Commission, à la fois par écrit et oralement.

Les auditions se déroulent sous la présidence du conseiller-auditeur, un fonctionnaire mandaté par la Commission, et en présence de divers fonctionnaires de la Commission qui ont participé au traitement du dossier. Les entreprises peuvent se faire assister par un avocat mais leurs représentants légaux doivent, en principe, également assister en personne à l'audition. Les auditions ne sont pas publiques.


G. LE COMITÉ CONSULTATIF

Le Comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, qui regroupe des experts émanant des autorités de concurrence des différents Etats membres, est l'instrument privilégié de liaison entre la Commission et les autorités de concurrence des Etats membres. Le Comité consultatif émet un avis écrit sur l'avant-projet de décision de la Commission. La Commission attache une grande importance à l'avis du Comité consultatif. Elle l'informe de la façon dont elle a tenu compte de son avis.


H. MESURES PROVISOIRES

Dans les cas d'urgence justifiés par le fait qu'un préjudice grave et irréparable risque d'être causé à la concurrence, la Commission, agissant d'office, peut, par voie de décision et sur la base d'un constat prima facie d'infraction, ordonner des mesures provisoires, telles qu'une injonction de livrer en cas de refus de livraison (voir note 13) .


I. ENGAGEMENTS

Lorsque la Commission envisage d'adopter une décision exigeant la cessation d'une infraction et que les entreprises concernées offrent des engagements de nature à répondre aux préoccupations de la Commission, la Commission peut prendre une décision rendant ces engagements obligatoires pour les entreprises en question (voir note 14) .


J. DÉCISION

Lorsque la Commission constate une infraction aux dispositions de l'article 81 ou de l'article 82 du traité CE, elle peut enjoindre, par voie de décision, les entreprises et associations d'entreprises intéressées à y mettre fin.

La Commission peut également leur imposer certaines actions ou prestations réparatrices (par exemple, une obligation de livrer une certaine quantité de produits dans le cas d'une infraction de refus de vente).

Les entreprises peuvent, de surcroît, être condamnées au paiement d'amendes ou d'astreintes à titre de sanctions.


K. PRESCRIPTION

Le pouvoir de la Commission d'imposer des amendes est soumis à un délai de prescription (i) de cinq ans en ce qui concerne les infractions aux articles 81 et 82 du traité et (ii) de trois ans en ce qui concerne les infractions relatives à la procédure. La prescription court à compter du jour où l'infraction a été commise. Toutefois, pour les infractions continues ou répétées, la prescription ne court qu'à compter du jour où l'infraction a pris fin. La prescription est interrompue par tout acte de la Commission "visant à l'instruction ou à la poursuite de l'infraction".

Enfin, un délai de prescription de cinq ans est prévu en matière d'exécution des décisions prononçant des amendes, sanctions ou astreintes.




Bénédicte Raevens (Avocat associé au cabinet McGuireWoods Bruxelles)

Pol Cools (Avocat au cabinet McGuireWoods Bruxelles)




Notes :


(1) L'article 81 du traité CE interdit les accords entre entreprises qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun.

(2) L'article 82 du traité CE interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci.

(3) Art. 7 du Règlement n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, J.O. L 1 du 4 janvier 2003.

(4) Voir l'article 5 du Règlement n° 1/2003. Le Règlement n° 1/2003 institue un régime de compétences parallèles permettant à la Commission, aux autorités de concurrence et aux juridictions nationales d'appliquer les articles 81 et 82 du traité CE. La Commission et les autorités nationales de concurrence disposent de compétences similaires d'investigation et de sanctions afin de faire respecter le droit de la concurrence au nom de l'intérêt général ("public enforcement") tandis que les juridictions nationales octroient des dommages-intérêts aux victimes de violations du droit de la concurrence ("private enforcement"). La coopération entre les juridictions nationales et la Commission est régie par la Communication de la Commission sur la coopération entre la Commission et les juridictions nationales pour l'application des articles 81 et 82 du traité CE (J.O. C 101 du 27 avril 2004), tandis que la coopération entre la Commission et les autorités nationales de concurrence est régie par la Communication de la Commission relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence (J.O. C 101 du 27 avril 2004).

(5) Voir Glossaire des termes les plus employés en droit de la concurrence.

(6) Voir Glossaire des termes les plus employés en droit de la concurrence.

(7) Le modèle de formulaire C peut être consulté (en anglais) à l'adresse suivante: http://ec.europa.eu/comm/competition/antitrust/others/anticompetitive/formc.html et est attaché comme annexe au Règlement n° 773/2004 de la Commission du 7 avril 2004 relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles 81 et 82 du traité CE (J.O. L 123 du 27 avril 2004).

(8) Voir infra.

(9) Art. 18 du Règlement n° 1/2003.

(10) Art. 17 du Règlement n° 1/2003.

(11) Art. 20 du Règlement n° 1/2003.

(12) Art. 21 du Règlement n° 1/2003.

(13) Art. 8 du Règlement n° 1/2003.

(14) Art. 9 du Règlement n° 1/2003.

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