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Obligations imposées à l'agent concernant les contrats à négocier (...)



Obligations imposées à l'agent concernant les contrats à négocier ou à conclure avec les tiers pour compte du commettant: l'article 81 du traité CE peut ne pas être applicable


A. L'article 81 du traité CE ne s'applique pas à ces obligations si elles sont contenues dans un "vrai" contrat d'agence

Le contrat d'agence peut imposer différentes obligations à l'agent à propos des biens ou services dont il doit négocier et éventuellement conclure la vente ou l'achat auprès de tiers et notamment:

- la délimitation du territoire sur lequel l'agent peut vendre ou acheter les biens ou services concernés;
- l'identification des clients que l'agent peut démarcher à cet effet;
- la fixation des prix et conditions auxquels l'agent doit vendre ou acheter les biens ou services en question.

L'article 81 du traité CE ne s'applique pas à ces obligations du contrat d'agence, à condition qu'il s'agisse d'un véritable contrat d'agence.

Il faut donc pouvoir distinguer les "vrais" contrats d'agence des autres accords de distribution.

Le "vrai" contrat d'agence est le contrat dans lequel l'agent n'assume aucun risque commercial et financier important en ce qui concerne la vente ou l'exécution des contrats conclus avec des tiers (voir note 1) .

Pour apprécier la véritable nature d'un contrat d'agence au regard de l'article 81 du traité CE, il faut prendre en compte deux types de risques financiers ou commerciaux: les risques directement liés aux contrats conclus et/ou négociés par l'agent (comme le financement des stocks) et les risques liés aux investissements spécifiques au marché (c'est-à-dire les investissements indispensables pour permettre à l'agent de remplir sa mission et qui ne peuvent servir à d'autres activités).

Si l'agent ne supporte pas ces risques financiers ou n'en assume qu'une partie négligeable, l'agent ne peut pas être considéré comme une entité économique autonome par rapport au commettant et forme donc avec ce dernier une seule et même entité économique. La fonction de vente ou d'achat remplie par l'agent est alors considérée comme faisant partie de l'activité du commettant, bien que l'agent soit une entreprise juridiquement distincte. Dès lors, l'article 81 du traité CE - qui suppose un accord entre deux entreprises économiquement distinctes - est inapplicable aux obligations imposées par le commettant à l'agent pour l'achat et la vente des biens ou services visés par le contrat d'agence (voir note 2) . Dans ce cas, le commettant peut imposer à son agent des clauses qui poseraient problème par rapport à l'article 81 du traité CE si elles étaient conclues entre deux opérateurs économiques indépendants (restrictions de territoire, prix de vente imposés, etc.).

En revanche, lorsque le contrat d'agence prévoit la prise en charge, par l'agent, de risques financiers et commerciaux liés aux contrats conclus par le commettant avec les tiers grâce à l'intervention de l'agent, l'agent ne peut plus être considéré comme un organe auxiliaire intégré dans l'entreprise du commettant mais bien comme un opérateur économique indépendant. L'article 81 du traité CE s'applique alors aux clauses concernées du contrat (voir note 3) . Pour évaluer la compatibilité de ces clauses avec le droit communautaire de la concurrence, on pourra s'aider des Lignes directrices de la Commission sur les restrictions verticales (voir note 4) .

La question des risques assumés par l'agent doit être analysée dans chaque cas d'espèce.


B. Critères d'identification des vrais contrats d'agence


1. Critères dégagés par la Commission européenne

Selon la Commission européenne, l'agent n'assume pas de risques financiers et commerciaux lorsqu'il n'est pas propriétaire des biens contractuels achetés ou vendus ou lorsqu'il ne fournit pas lui-même les services contractuels, ce qui est le cas notamment dans les hypothèses suivantes (voir note 5) :

- l'agent ne contribue pas aux coûts liés à la fournitures ou à l'achat des biens et des services contractuels, y compris les frais de transport des biens; s'il effectue le service de transport, il est remboursé de ses frais par le commettant;

- l'agent n'est pas tenu d'investir dans des actions de promotion des ventes, par exemple en contribuant aux frais publicitaires du commettant;

- l'agent ne tient pas le stock des produits contractuels à ses propres risques, et notamment ne supporte pas le coût de financement des stocks ni le coût lié à la perte des stocks; il a notamment le droit de retourner sans frais les invendus au commettant (sauf si sa responsabilité dans la perte est engagée, parce qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour empêcher cette perte par exemple);

- l'agent ne s'occupe pas de services après-vente, de réparation ou de garantie, à moins d'en être remboursé intégralement par le commettant;

- l'agent ne réalise pas d'investissements spécifiques au marché dans des équipements, des locaux ou la formation du personnel (par exemple un logiciel spécialisé pour la vente de services d'assurances, ou l'installation d'un entrepôt frigorifique pour la vente de produits frais);

- n'assume pas de responsabilité vis-à-vis des tiers pour les dommages causés par le produit vendu (responsabilité du fait des produits), à moins que sa responsabilité pour faute dans la défectuosité soit engagée;

- n'assume pas de responsabilité en cas de non-paiement par le client, à l'exception de la perte de sa commission (sauf si sa responsabilité est engagée, par exemple parce qu'il n'a pas prévenu le commettant de l'insolvabilité du client alors qu'il en était lui-même informé).


2. Critères dégagés par la Cour de justice des Communautés européennes

La Cour de justice des Communautés européennes a, elle aussi, précisé les critères à prendre en compte pour apprécier la répartition effective des risques financiers et commerciaux entre commettant et agent (voir note 6) .

Selon la Cour de justice, l'exploitant assume les risques liés à la vente des marchandises lorsqu'une ou plusieurs des circonstances suivantes sont réunies:

- il devient propriétaire des marchandises dès le moment où il les reçoit de son fournisseur, c'est-à-dire avant la vente ultérieure à un tiers;
- il assume des coûts liés de distribution des marchandises (en particulier les frais de transport);
- il assume la responsabilité des dommages éventuels causés aux marchandises (perte ou détérioration) ou des dommages causés aux tiers par les marchandises;
- il assume une partie du risque financier lié aux marchandises (paiement au cas où l'exploitant ne trouve pas d'acheteur ou paiement des marchandises au fournisseur alors que le paiement par l'acheteur est différé par suite de l'utilisation d'une carte de crédit).

La Cour de justice considère, en outre, que l'exploitant assume les risques liés aux investissements spécifiques au marché lorsque l'exploitant réalise des investissements spécifiques liés à la vente des marchandises (par exemple l'installation d'un réservoir de carburant dans le cas analysé par la Cour de justice) ou s'engage à investir dans des actions de promotion.


Le fait que l'intermédiaire commercial supporte une partie négligeable des risques précités ne suffit pas à rendre l'article 81 du traité CE applicable à l'accord conclu avec son fournisseur (voir note 7) . Le caractère négligeable ou non des risques assumés par l'intermédiaire commercial doit être apprécié au cas par cas.

La Cour de justice a notamment été amenée à se prononcer à propos de conventions conclues entre une entreprise du secteur pétrolier et des entreprises exploitant des stations-service, par lesquelles les exploitants de stations-service s'engageaient à vendre exclusivement les carburants et les combustibles du fournisseurs et à respecter des prix de vente au public. Sans se prononcer sur le cas d'espèce (voir note 8) , la Cour de justice a rappelé que:

- si le contrat d'approvisionnement de carburant est un vrai contrat d'agence (c'est-à-dire sans risque financier et commercial pour les agents), l'obligation de vendre le carburant à un prix déterminé est inhérente à la capacité du fournisseur-commettant de délimiter le champ d'action de ses exploitants qui forme avec lui une seule entité économique et ne pose pas de problème au regard de l'article 81 du traité CE;

- si, en revanche, les exploitants assument des risques financiers ou commerciaux, le contrat d'approvisionnement constitue un accord entre entreprises économiquement distinctes qui tombe sous le champ d'application de l'article 81 CE (voir note 9) . Dans ce cas, l'imposition d'un prix de revente à l'exploitant constitue une restriction de concurrence non couverte par le règlement d'exemption par catégorie concernant les restrictions verticales.





Bénédicte Raevens (Avocat associé au cabinet McGuireWoods Bruxelles)

Pol Cools (Avocat au cabinet McGuireWoods Bruxelles)





Notes :


(1) Lignes directrices de la Commission sur les restrictions verticales, § 13.

(2) Voir e.a. C.J.C.E. 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a. c. Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113 à 114/73, Rec., p. 1663, point 480; 24 octobre 1995, Volkswagen et VAG Leasing, C-266/93, Rec., I-3477, point 17.

(3) C.J.C.E., 14 décembre 2006, Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio, C-217/05, point 45.

(4) Voir aussi notre Fiche Pratique sur les restrictions verticales.

(5) Lignes directrices de la Commission sur les restrictions verticales, § 16.

(6) C.J.C.E., 14 décembre 2006, Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio, C-217/05, points 50 à 60.

(7) C.J.C.E., 14 décembre 2006, Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio, C-217/05, point 61.

(8) Voir à ce sujet notre Fiche Pratique sur les restrictions verticales.

(9) La Cour de justice n'a pas tranché la question de savoir si, dans le cas d'espèce, les exploitants de stations-service assumaient ou non des risques financiers et commerciaux car elle n'était pas compétente pour ce faire. En effet, il revient à la juridiction nationale saisie du litige de trancher cette question, en s'inspirant de l'arrêt de la Cour de justice, à laquelle la juridiction en question s'est précisément adressée pour obtenir des éclaircissements sur l'interprétation du droit communautaire en la matière.

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