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Le régime de la clémence communautaire



La communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (publiée le 8 décembre 2006 au Journal Officiel de l'Union européenne (voir note 1)) établit le cadre légal qui permet de récompenser de leur coopération avec la Commission les entreprises qui ont été parties à des ententes. Les grandes lignes de cette communication sont exposées ci-après.


A. L’IMMUNITE D’AMENDES


1. Conditions de base

Afin de bénéficier d’une immunité d’amende, l’entreprise qui sollicite la clémence doit être la première à fournir à la Commission des renseignements et des éléments de preuve qui permettent à cette dernière :

• soit d’effectuer une inspection ciblée en rapport avec l’entente présumée (par exemple une visite surprise des locaux des entreprises membres du cartel présumé) ;

• soit de constater une infraction à l’article 81 du traité CE en rapport avec l’entente présumée (si les éléments fournis par l'entreprise concernée sont suffisants pour ce faire).


2. Autres conditions requises

Outre le respect de l’une des conditions de base ci-dessus, l’entreprise concernée doit :

• révéler à la Commission sa participation à l’entente présumée et les détails de celle-ci ;

• mettre fin à sa participation à l’entente présumée immédiatement après le dépôt de sa demande; la Commission peut toutefois autoriser l'entreprise à poursuivre momentanément sa participation à l'entente (par exemple prendre part à une réunion de fixation des prix des membres de l'entente), de manière à ne pas éveiller les soupçons des autres membres du cartel et à permettre à la Commission d'organiser les inspections devant mener au démantèlement du cartel) ;

• lorsqu’elle envisage d’adresser une demande de clémence à la Commission, ne pas avoir détruit, falsifié ou dissimulé des preuves de l’entente présumée ni avoir divulgué son intention de présenter une demande ni la teneur de celle-ci, sauf à d’autres autorités de concurrence (à savoir des autorités nationales de concurrence).


De plus, l’entreprise concernée doit coopérer de manière "véritable, totale, permanente et rapide" avec la Commission et ce, tout au long de la procédure administrative. L’entreprise doit ainsi :

• fournir sans délai à la Commission tous les renseignements et éléments de preuve utiles au sujet de l’entente présumée qui viendraient en sa possession ou à sa disposition ;

• se tenir à la disposition de la Commission pour répondre rapidement à toute demande qui pourrait contribuer à établir les faits en cause ;

• mettre à la disposition de la Commission, pour les interroger, ses salariés et administrateurs actuels et, dans la mesure du possible, ses anciens salariés et administrateurs ;

• s’abstenir de détruire, de falsifier ou de dissimuler des informations ou preuves utiles se rapportant à l’entente présumée ;

• sauf accord de la Commission, s’abstenir de divulguer l’existence ou la teneur de sa demande de clémence avant que la Commission n’ait adressé de communication des griefs aux autres entreprises concernées (il s'agit d'une communication écrite par laquelle la Commission leur indique les griefs qu'elle compte invoquer à leur égard, ce qui leur donne l'occasion de faire connaître leur point de vue sur les reproches formulés avant la prise de décision formelle de la Commission).

Enfin, il faut souligner qu’une entreprise se verra refuser le bénéfice de l’immunité s'il s'avère qu'elle a contraint d’autres entreprises à participer à l’entente ou à y maintenir leur participation.


3. Procédure

Une entreprise qui souhaite solliciter l’immunité d’amende doit prendre contact avec la direction générale de la concurrence (dite "DG Concurrence") de la Commission.

Elle peut soit demander dans un premier temps l’octroi d’un "marqueur", soit présenter immédiatement une demande formelle d’immunité d’amende à la Commission.

A la demande de l'entreprise concernée, la Commission peut lui accorder un marqueur protégeant sa (première) place dans l’ordre d’arrivée des demandes de clémence pendant un délai qui sera déterminé au cas par cas afin de la mettre en mesure de rassembler les renseignements et éléments de preuve nécessaires à l'obtention d'une immunité. Moyennant la communication d'informations minimales à propos de l'entente à laquelle elle participe (identité des participants à l'entente présumée, produits en cause, territoire affecté, estimation de la durée de l'entente, nature de l'entente), l'entreprise bénéficiaire du marqueur reçoit ainsi l'assurance qu'aucune autre entreprise du cartel ne pourra obtenir l'immunité à sa place (du moins momentanément) même si elle dépose une demande de clémence plus étayée que la sienne. Dans le système d'immunité mis en place par la Commission, il importe donc d'être le premier à se dénoncer, même si l'on ne dispose pas, au moment du dépôt de la demande de clémence, de toutes les informations nécessaires pour pouvoir bénéficier d'une immunité d'amende. Si l'entreprise rapporte les renseignements et éléments de preuve nécessaires dans le délai qui lui a été imparti par la Commission, ils seront censés avoir été communiqués à la date d'octroi du marqueur.

L’entreprise qui choisit de présenter immédiatement une demande formelle d’immunité à la Commission (et pas seulement une demande de marqueur) doit en principe lui fournir tous les renseignements et éléments de preuve dont elle dispose relatifs à l’entente présumée. Cependant elle peut, dans un premier temps, présenter ces renseignements et éléments de preuve sous forme hypothétique, auquel cas elle devra remettre une liste descriptive détaillée des éléments de preuve qu’elle se propose de divulguer à une date ultérieure convenue.

Dans tous les cas, la DG Concurrence adresse à l'entreprise, à sa demande, un accusé de réception de la demande d’immunité précisant la date et l'heure de la demande.

Après vérification des éléments de preuve fournis, la Commission accordera à l’entreprise une immunité d’amende conditionnelle pour autant que l’une des deux conditions de base susmentionnées soit remplie (première entreprise à divulguer des informations permettant de mener une inspection ciblée ou d’établir l’existence de l’infraction).

S’il apparaît in fine que les conditions d’obtention de l’immunité ne sont pas remplies, l’entreprise en sera immédiatement informée. Dans un tel cas, l’entreprise pourra soit retirer sa demande d’immunité (ainsi que les éléments de preuve fournis), soit demander à la Commission de la traiter comme une demande de réduction d’amende.

La Commission n’examinera aucune autre demande d’immunité avant de s’être prononcée sur une demande existante se rapportant à la même entente présumée.

L’immunité conditionnelle deviendra définitive suite à une décision en ce sens de la Commission au terme de la procédure administrative à condition que, tout au long de cette procédure, l’entreprise ait respecté les obligations qui s'imposaient à elles, en particulier celle de coopérer avec la Commission.


4. Illustration

Une entreprise qui décide d'opter pour la clémence et obtient le bénéfice de l'immunité peut se mettre à l'abri d'amendes extrêmement élevées (Voir les Fiches Pratiques sur les amendes).

Ainsi par exemple, le 24 janvier 2007, la Commission a infligé des amendes d’un montant total de 750.712.500 EUR à 11 groupes d’entreprises pour avoir pris part à une entente dans le domaine des projets relatifs à des appareillages de commutation à isolation gazeuse. L’enquête a commencé par des inspections inopinées de la Commission intervenues en mai 2004, après que la société ABB eut déposé une demande d’immunité en vertu de la communication sur la clémence. La société ABB ayant été la première à s'adresser à la Commission et ayant fourni des informations jugées suffisantes par la Commission, elle a obtenu une immunité totale de l’amende en application du programme de clémence de la Commission de 2002. L’amende qui aurait dû être infligée à ABB si elle n'avait pas bénéficié de l'immunité se serait élevée à 215.156.250 EUR.


B. LA REDUCTION DU MONTANT DE L’AMENDE


1. Conditions de base

L’entreprise qui n’est pas en mesure de remplir les conditions pour bénéficier d’une immunité d'amende peut solliciter l’octroi d’une réduction du montant de l’amende qui devrait normalement lui être infligée pour sa participation à une entente prohibée.

Une réduction d’amende est octroyée à l’entreprise qui fournit des éléments de preuve comportant une "valeur ajoutée significative" par rapport aux éléments de preuve déjà en possession de la Commission. A ce titre, les éléments de preuve fournis doivent renforcer la capacité de la Commission d'établir l'existence de l'entente présumée, par leur nature ou par leur niveau de précision (par ex.: preuves écrites datant de la période à laquelle l'entente se rapporte alors que la Commission ne possédait que des preuves écrites ultérieures; preuve déterminante en soi de l'existence de l'entente comme un procès-verbal de réunion visant à la répartition des marchés entre concurrents alors que la Commission ne disposait que de documents faisant indirectement référence à une telle réunion, etc.).


2. Autres conditions requises

L’entreprise doit, en outre, remplir certaines conditions requises pour obtenir l’immunité d’amendes, à savoir cesser sa participation à l'entente (sauf autorisation de la Commission), coopérer pleinement avec la Commission, conserver les preuves de l'entente et ne pas divulguer aux autres membres du cartel son intention de présenter une demande de clémence.


3. Niveaux de réduction octroyés

La Commission détermine le niveau de réduction dont l’entreprise peut bénéficier, qui s’établit comme suit par rapport au montant de l’amende qui devrait normalement être infligé à l'entreprise :

• première entreprise à fournir une valeur ajoutée significative : réduction comprise entre 30 et 50% ;

• deuxième entreprise à fournir une valeur ajoutée significative : réduction comprise entre 20 et 30% ;

• autres entreprises fournissant une valeur ajoutée significative : réduction maximale de 20%.

Au sein de chacune de ces fourchettes, le pourcentage précis de la réduction octroyée sera fonction de la date à laquelle les éléments de preuve ont été fournis (une coopération au début d’enquête sera mieux valorisée qu’une coopération en fin d’enquête) et de la qualité de ces éléments de preuve (des documents écrits datant de l’époque des faits auront plus de valeur que des témoignages oraux plus récents).


Si une entreprise qui sollicite une réduction d’amende est la première à fournir des preuves déterminantes dont la Commission devrait normalement tenir compte comme circonstances aggravantes pour la fixation du montant de l'amende (par exemple des éléments qui attestent de la gravité ou la longue durée de l’infraction – voir les fiches pratiques sur les amendes), la Commission en fera abstraction pour fixer le montant de l’amende infligée à l’entreprise qui les a fournis. C’est ce que l'on appelle l' "immunité partielle".


4. Procédure

Toute entreprise souhaitant bénéficier d’une réduction d’amende doit présenter une demande formelle à la DG Concurrence de la Commission et lui fournir les éléments de preuve relatifs à l’entente en question. L’entreprise recevra, à sa demande, un accusé de réception.

Si la Commission parvient à la conclusion provisoire que les éléments de preuve fournis présentent une valeur ajoutée significative, elle informera l’entreprise concernée, au plus tard au moment de l’envoi de la communication des griefs, de son intention de lui accorder une réduction d’amende et elle précisera la fourchette de réduction envisagée.


C. DECLARATIONS FAITES PAR LES ENTREPRISES DANS LE CADRE DE LA PROCEDURE DE CLEMENCE

A la demande de l’entreprise, la Commission peut autoriser que les déclarations de l'entreprise soient faites de manière orale (sauf si l’entreprise a déjà communiqué le contenu de la déclaration à des tiers).

Les déclarations orales des entreprises seront enregistrées et transcrites dans les bureaux de la Commission.

L'objectif poursuivi par cette faculté pour les entreprises de déposer oralement est d'éviter qu'une entreprise ne renonce à dénoncer l'existence d'un cartel par crainte que ses "aveux" écrits concernant sa participation au cartel soient utilisés ultérieurement contre elle, dans le cadre de procédures judiciaires en dommages-intérêts de la part de concurrents ou d'autres victimes du cartel, en particulier lorsque l'entente a des répercussions mondiales. En effet, aux Etats-Unis, où les procédures judiciaires de ce genre sont fréquentes, les juges peuvent, dans le cadre de la procédure de "discovery", solliciter et obtenir la production de tout document, où qu'il se trouve (en ce compris à la Commission), émanant de l'entreprise contre laquelle une action judiciaire est entreprise.





Bénédicte Raevens (Avocat associé au cabinet McGuireWoods Bruxelles)

Pol Cools (Avocat au cabinet McGuireWoods Bruxelles)




Note:

(1) Une communication de 2002 ayant le même objet était précédemment en vigueur.






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