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Le taux des intérêts compensatoires



Le taux des intérêts compensatoires pose plusieurs questions : le choix du taux, le calcul des intérêts sur une indemnité ‘actualisée’ et la capitalisation des intérêts.


1. Le choix du taux

Le juge qui alloue des intérêts compensatoires à la victime doit en déterminer le taux (cf. Note 1). Il ne peut le faire que dans les limites des conclusions des parties (cf. Note 2).

Dans la théorie économique, il est admis que le taux d’intérêt est la récompense allouée à l’épargnant qui renonce provisoirement à la libre disposition de l’argent liquide qu’il détient.

L’intérêt est donc bien « le prix de la patience » (cf. Note 3).

L’intérêt, logiquement, doit comprendre outre le ‘loyer de l’argent’, une prime pour les deux risques que l’épargnant accepte de courir : le risque de dépréciation du pouvoir d’achat de la monnaie et le risque d’insolvabilité du débiteur.

Lorsque le juge fixe le taux des intérêts compensatoires, la situation est sans doute différente parce que l’on ne se trouve pas au moment où le créancier renonce à la libre disposition de son argent, mais bien à la veille du paiement de la dette de réparation. On sait donc si les risques auxquels un créancier normalement exposé, se sont réalisés ou non. Le taux des intérêts compensatoires va donc être fixé essentiellement en fonction du loyer de l’argent et aussi de l’érosion monétaire, sauf si l’indemnité est actualisée.

Sur quelle base fixer le loyer de l’argent ? Le taux légal des intérêts ? Le taux de rendement des placements financiers ? Le taux des crédits bancaires ?


Le taux légal des intérêts

A/ Exposé général

De nombreuses décisions considèrent qu’il faut appliquer le taux légal des intérêts (cf. Note 4). Sans doute, le juge ne doit pas, à défaut de conclusions à cet égard, déterminer expressément le taux des intérêts compensatoires, mais s’il ne le fait pas expressément, c’est le taux légal qui est applicable (cf. Note 5).

Mais que représente le taux légal de l’intérêt ? Il est impossible de donner à cette question une réponse univoque, parce que plusieurs lois ont fixé des taux d’intérêts divers.


1° Le taux en matière civile

L’article 2 de la loi du 5 mai 1865 relative aux prêts à intérêts, modifié notamment par les articles 87 et 88 de la loi-programme du 27 décembre 2006, dispose :

« Chaque année-calendrier, le taux de l’intérêt légal en matière civile et en matière commerciale est fixé comme suit : la moyenne du taux d’intérêt euribor à un an pendant le mois de décembre de l’année précédente est arrondi vers le haut au quart de pourcent ; le taux d’intérêt ainsi obtenu est augmenté de 2%.

L’administration générale de la trésorerie du Service public fédéral des Finances publie, au courant du mois de janvier, le taux de l’intérêt légal applicable pendant l’année-calendrier en cours, au Moniteur belge
».

Euribor est un mot formé à partir de la contraction des mots « Euro Interbank Offered Rate ». L’Euribor est calculé régulièrement pour des échéances diverses, et publiées par la Fédération bancaire de l’Union européenne (FBE). Il résulte d’un taux moyen correspondant aux taux annoncés par 57 grandes banques établies en Europe pour les prêts qu’elles se font entre elles lorsque le prêt n’est pas garanti.

L’évolution des taux Euribor pour chaque échéance peut être suivie sur le site de l’institution (cf. Note 6).
Il est de notoriété que les données fournies par les banques participantes pour les échéances supérieures à 6 mois peuvent être approximatives et s’écarter de quelques points de base de ce que donne un calcul précis basé sur les contrats à terme effectifs (cf. Note 7).

Il ne faut sans doute pas confondre l’Euribor et le Libor (« London Interbank Offered Rate ») qui est le principal taux de référence du marché monétaire mondial. On sait que le lundi 2 juillet 2012, la Financial Services Authority a dévoilé une manipulation du Libor par les banques participantes. Il semblerait que les grandes banques mondiales, qui n’avaient nullement l’intention de se prêter mutuellement des fonds, auraient annoncé des taux de prêt ridiculement bas, ce qui leur permet d’une part de tirer vers le bas les taux d’intérêt sur les dépôts et les opérations à court terme, et, d’autre part, de démontrer qu’elles pourraient se refinancer à bon compte d’autre compte, ce qui est de nature à rassurer les marchés sur leur solidité financière (cf. Note 8).

Qui oserait affirmer que les grandes banques européennes qui ont participé à la manipulation du Libor n’ont pas également trafiqué les taux qui servent à la formation de l’Euribor ?


2° Le taux dans les transactions commerciales

Transposant la directive 200/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 juin 2000, la loi du 2 août 2002 sur le retard de paiement dans les transactions commerciales (cf. Note 9) dispose que le taux des intérêts de retard correspond au ‘taux directeur’ défini à l’article 2 de la loi, majoré de sept points, publié périodiquement par le ministre des Finances. Cette publication est semestrielle.


3° Le taux en matière fiscale

En matière fiscale, le taux de l’intérêt légal reste fixé immuablement à 7%, même si les dispositions fiscales renvoient au taux d’intérêt légal en matière civile (cf. Note 10).


B/ Appréciation

La mise en regard de ces différents taux d’intérêts fait songer à un beau désordre. Par exemple, comment justifier qu’en 2007 le taux légal de l’intérêt en matière civile diminue (passant de 7 % à 6 %) alors qu’au même moment le taux légal pour les retards de paiement dans les transactions commerciales augmente (passant de 10 % à 11 %) ? La fixation légale des différents taux d’intérêts ne répond à aucune logique économique.
En réalité, la fixation de ces taux différents s’explique par la divergence des philosophies sur lesquelles ils se fondent.

Le taux légal en matières civile et commerciale est particulièrement bas car la loi, de façon générale, veut protéger le débiteur (cf. Note 11). Elle le veut d’autant plus que l’Etat est sans doute le plus grand débiteur du Royaume. Il souhaite dès lors de réduire le taux des intérêts qu’il doit payer, même s’il s’octroie, lorsqu’il est créancier, un taux de 7% (en matière fiscale).

La directive du 29 juin 2000, transposée par la loi du 2 août 2002, a pour but de protéger le créancier. « Les délais de paiement excessifs et le retard de paiement auquel les entreprises, plus spécialement les petites et moyennes, doivent faire face, font peser sur elles de lourdes charges administratives et financières qui peuvent compromettre la pérennité de l’emploi et, le cas échéant, la survie de ces entreprises » (cf. Note 12). C’est pourquoi les taux légaux fixés en exécution de la loi du 2 août 2002 correspondent, de façon assez réaliste, au prix des crédits bancaires, majoré sans doute légèrement dans un but dissuasif.

Lorsque le juge se réfère au taux légal de l’intérêt, pourquoi se réfère-t-il au taux fixé conformément à la loi du 5 mai 1865 et non pas aux autres taux légaux des intérêts ? Veut-il vraiment protéger l’assureur qui a tardé à indemniser la personne lésée ?

Il est permis de penser que la référence au taux légal des intérêts en matière civile n’est pas toujours mûrement réfléchie.


Le rendement des placements financiers

Un arrêt énonce qu’il faut tenir compte de la rentabilité nette que la victime aurait pu obtenir de son capital si elle l’avait reçu dès la réalisation de son dommage et souligne que « eu égard aux différents produits financiers existant sur le marché depuis la date à laquelle elle a subi son dommage, il n’est pas excessif d’aligner en l’espèce le taux des intérêts compensatoires sur le taux légal» (cf. Note 13).

D’autres jugements s’interrogent sur le taux de rendement d’un placement sûr qu’un citoyen moyen peut obtenir et étudient parfois les rendements des certificats de trésorerie et des emprunts d’Etat (cf. Note 14).
Cette approche du problème est singulière. Est-il sérieux de supposer que le retard dans l’indemnisation a privé la victime d’une somme d’argent qu’elle cherchait à investir ? Croit-on vraiment que l’usage que les victimes souhaitent faire de l’argent auquel elles ont droit, est un placement rentable ?

Il semble plus raisonnable de penser que la victime a besoin d’une indemnité pour réparer les préjudices qu’elle a subis : perte de revenus, frais médicaux et autres, dommage moral que l’on compense par des dépenses de consommation variables mais non pas par des investissements.

Les intérêts compensatoires ont pour but de réparer le dommage subi d’un retard dans l’indemnisation, retard qui génère par définition un besoin d’argent. Ce que l’on devrait examiner, ce n’est pas le taux de rendement des bons de caisse ou des obligations d’Etat, mais le taux d’intérêt demandé par les banques pour des prêts à court terme sans garantie particulière.


Le coût des crédits bancaires sans garantie

A/ Exposé introductif

On a exposé ailleurs que le taux des intérêts compensatoires devait être fixé en fonction du taux des crédits bancaires sans garantie (cf. Note 15).

Cette opinion avait été suivie par quelques jugements particulièrement bien motivés (cf. Note 16).

B/ Objection non fondée

L’objection souvent formulée à propos de la référence au taux des emprunts bancaires, est que la victime ne prouve pas qu’elle a eu réellement recours à l’emprunt. C’est ainsi par exemple que le tribunal de police de Bruxelles, dans un jugement récent, décide que « si une victime a recours à l’emprunt pour faire face aux dépenses qu’elle était tenue d’exposer ou pour compenser l’absence de ses revenus habituels, le taux des intérêts compensatoires pourrait être nettement supérieur à celui de l’intérêt légal » (cf. Note 17).

Le taux des crédits bancaires ne peut-il être retenu que si la personne lésée a vraiment contracté un emprunt ? La question appelle une réponse négative.

Le dommage à couvrir par les intérêts compensatoires est le besoin d’argent. Il importe peu de savoir si la victime a vécu dans la misère ou si elle a pu surmonter ce besoin d’argent et, dans l’affirmative, comment. Il est indifférent qu’elle ait été aidée par ses proches ou par des amis, qu’elle ait contracté un emprunt ou reçu des libéralités, ou encore qu’elle ait puisé dans son patrimoine. C’est l’absence d’indemnisation au moment de la survenance du dommage qui doit être réparée. Toutes les autres considérations sont dénuées de pertinence.

Ce principe a été affirmé par la Cour de cassation à de nombreuses reprises.

C’est ainsi qu’en audience plénière, elle a décidé que le juge peut, sans violer les articles 1382 et 1383 du Code civil, allouer à la victime, en réparation du dommage résultant de la destruction de son véhicule, une indemnité incluant le montant de la TVA, bien que le véhicule détruit n’ait pas été remplacé (cf. Note 18). Le préjudice consiste dans le besoin de remplacer le véhicule.

Dans le même esprit, la Cour de cassation a décidé que la nécessité pour la victime d’un accident de recourir à l’aide d’une tierce personne, constitue, en soi, un préjudice matériel. L’assistance prêtée par l’épouse de la victime, fondée sur une cause étrangère à la faute de l’auteur de l’accident, ne saurait intervenir dans l’appréciation de l’étendue de la réparation qui incombe à celui-ci (cf. Note 19).

La jurisprudence française décide également que la victime n’a pas à justifier de la réalisation des réparations (cf. Note 20), notamment au moyen de factures (cf. Note 21), ni de sa volonté de les réaliser (cf. Note 22), pour obtenir le versement de l’indemnité.

Le dommage créé par le retard dans l’indemnisation est un besoin d’argent. L’emprunt bancaire est une méthode pour effacer le dommage, mais la victime n’a nullement l’obligation de réparer le dommage qu’elle subit.

Même si la victime n’a pas eu recours à l’emprunt bancaire, le retard dans l’indemnisation la place dans une situation qui, par nature, nécessite le recours à l’emprunt bancaire et qui doit être indemnisée telle quelle.


C/ Quels taux ?

Quel est actuellement le taux des crédits bancaires ?

Un des avantages d’internet est la possibilité d’obtenir des informations relativement précises à propos de n’importe quoi. Une recherche non exhaustive effectuée en mai 2012 a donné les résultats suivants : (NDLR : le tableau sera publié ultérieurement)

Ce tableau appelle deux observations.

La première est que les tarifs indiqués ne sont pas fiables. La plupart des sites contiennent l’avertissement suivant : « Ces taux sont donnés à titre purement informatif et ne sont pas à considérer comme accord de crédit. La décision et les conditions seront déterminées et présentées à votre réflexion après étude complète de votre dossier ».
La seconde observation est que les plafonds indiqués peuvent être insuffisants pour couvrir les besoins d’une victime pendant la durée d’un procès.

Il est donc vraisemblable que celle-ci sera exposée au risque de payer des intérêts à un taux supérieur au taux annoncé dans la publicité.

Compte tenu du marché actuel, il semble raisonnable de considérer que les intérêts compensatoires devraient être fixés à un taux de l’ordre de 7% par an au moins, voire 7,5%.

Une solution pragmatique pourrait être de se référer aux taux fixés par le Ministre des finances en application de la loi du 2 août 2002, tout en déduisant de ces taux un demi ou un pourcent, cette déduction étant justifiée par le caractère un peu dissuasif des taux fixés par la loi du 2 août 2002 sur les retards de paiement dans les transactions commerciales.
Une autre solution pragmatique serait de fixer le taux des intérêts compensatoires au taux exigé par l’Administration fiscale (actuellement : 7 %). C’est la solution adoptée par l’article 1056 c, alinéa 2, du Code civil du Québec, qui prévoit qu’une « indemnité » peut être ajoutée au taux légal fixé par le premier alinéa de cette disposition, cette indemnité couvrant la « différence entre le taux légal et celui du marché, ici représenté par le taux exigé par le Ministère du Revenu à ses débiteurs en retard » (cf. Note 23).


2. Les intérêts compensatoires et l’actualisation de l’indemnité

Au XXe siècle, la Cour de cassation décidait que les intérêts compensatoires ont pour objet de réparer le préjudice résultant du retard apporté à l’indemnisation, alors que la réévaluation des indemnités a pour objet de compenser la diminution du pouvoir d’achat de la monnaie (cf. Note 24). Il faut déduire de ce principe qu’il n’y a pas lieu de supprimer ou de réduire les intérêts compensatoires sur une indemnité calculée en fonction du pouvoir d’achat actuel de la monnaie.

La Cour a confirmé sa jurisprudence suivant laquelle les intérêts compensatoires réparent le préjudice résultant du retard dans l’indemnisation, alors que l’actualisation est un procédé de calcul appliqué pour tenir compte de la diminution du pouvoir d’achat de la monnaie ; il s’agit de deux correctifs distincts, même s’ils sont l’un et l’autre liés à l’écoulement du temps. Il s’en déduit que ne justifie pas légalement sa décision d’allouer des intérêts compensatoires à un taux inférieur au taux légal, le juge qui, pour fixer un tel taux, se fonde sur le seul motif qu’il faut tenir compte de ce que l’indemnité a par ailleurs été réévaluée pour compenser l’érosion monétaire (cf. Note 25).

Au XXIe siècle, la Cour de cassation a modifié sa jurisprudence. Elle a décidé que justifie légalement sa décision de retenir un taux inférieur au taux légal pour les intérêts compensatoires sur les indemnités actualisées qu’il accorde, le juge qui considère que « les intérêts compensatoires comportent, en l’état actuel des choses, une fraction d’intérêt dépassant le taux moyen de rendement du capital placé et compensant la dépréciation monétaire du pouvoir d’achat » (cf. Note 26).

Ce revirement de jurisprudence a été confirmé (cf. Note 27).

Dans cet esprit, un grand nombre de décisions judiciaires appliquent un taux inférieur au taux légal lorsque les intérêts compensatoires portent sur des indemnités réévaluées pour tenir compte de l’érosion monétaire (cf. Note 28).

Certaines décisions appliquent des taux d’intérêt différents pour les différents postes du dommage. Le plus souvent, ces décisions retiennent le taux légal pour le remboursement des frais et un taux inférieur pour les autres postes considérés, à tort ou à raison, comme ‘réévalués’ (cf. Note 29). Cette différenciation des taux d’intérêt suivant les postes du dommage ne contrevient pas à l’article 1382 du Code civil (cf. Note 30).

La jurisprudence ne se trompe pas lorsqu’elle affirme que le taux des intérêts couvre la dépréciation monétaire. En revanche, elle est incohérente lorsque, après une telle affirmation, elle prétend fixer le taux des intérêts compensatoires en fonction du taux légal de l’intérêt en matière civile ou, pire encore, à un taux forfaitaire inférieur au taux légal. Le tableau ci-dessous le démontre. (NDLR : le tableau sera publié ultérieurement)

Lorsque le taux légal de l’intérêt était fixé à 7% et que l’inflation était bien contrôlée, le taux légal permettait aux personnes lésées d’obtenir un intérêt réel raisonnable, variant de 4,22% à 5,41%. Après la crise financière de 2008, on assiste à une réduction du taux de l’intérêt légal et, semble-t-il, depuis 2011, à une inflation plus soutenue qu’auparavant.

Pour permettre aux personnes lésées de bénéficier d’un intérêt réel comparable à celui qui était alloué pendant les premières années du XXIe siècle, il faudrait aujourd’hui fixer le taux des intérêts compensatoires aux environs de 8%. Mais c’est peut-être là un faux débat.

Le faux débat est celui lancé par la décision que l’arrêt du 16 mai 2001 n’a pas cassée. Il est vrai qu’aucune disposition légale n’interdit de relever que les intérêts compensatoires comportent « une fraction d’intérêt dépassant le taux moyen de rendement du capital placé ». Toutefois, cette référence au ‘rendement d’un capital placé’ est ‘déplacée’ lorsqu’il s’agit d’une victime qui ne songe nullement à des placements, mais qui souffre d’un besoin d’argent né d’un retard dans le paiement des indemnités auxquelles elle a droit (cf. Note 31).

Que les indemnités soient actualisées ou non, le taux des intérêts compensatoires doit être fixé en fonction du taux des crédits bancaires.


3. La capitalisation des intérêts compensatoires

La loi a souvent, pour le débiteur, des yeux pleins de tendresse. L’article 1153 du Code civil déroge au principe de la réparation intégrale et limite la débition des intérêts moratoires. L’article 1154 du Code civil soumet l’anatocisme à des conditions rigoureuses (cf. Note 32). L’anatocisme est l’opération par laquelle les intérêts sont incorporés au capital de manière à produire des intérêts à leur tour.

La doctrine redoute les effets que l’anatocisme peut avoir pour le débiteur. « La capitalisation des intérêts est, en effet, dangereuse, parce qu’elle augmente avec rapidité le passif des débiteurs assez peu fortunés pour ne pas pouvoir faire face au paiement régulier des intérêts de leur dette » (cf. Note 33). Le professeur Van Ommeslaghe ne dit pas autre chose : « Cette opération peut se traduire par une augmentation très rapide et considérable de la dette, dont le débiteur n’est pas nécessairement conscient. C’est la raison pour laquelle elle a fait l’objet d’une réglementation spécifique dans le Code civil » (cf. Note 34).

L’article 1154 du Code civil ne s’applique pas aux intérêts compensatoires de sorte que le juge peut accorder la capitalisation des intérêts compensatoires, sans être lié par les conditions de l’article 1154 du Code civil, s’il considère que la réparation intégrale du dommage le justifie (cf. Note 35).

Quand bien même l’article 1154 du Code civil serait applicable aux intérêts compensatoires, il faudrait rappeler que son application ne requiert pas que le montant de la dette principale soit certain ; la capitalisation des intérêts n’est pas exclue par le fait que le montant de la dette principale reste contesté (cf. Note 36).

Les cours et tribunaux semblent un peu effrayés par la liberté qui leur est ainsi accordée. Certains arrêts décident que la victime peut sans doute réclamer la capitalisation des intérêts sans devoir observer les règles de l’article 1154 du Code civil, mais à la condition qu’il soit prouvé que cette capitalisation est nécessaire pour assurer la réparation intégrale du dommage (cf. Note 37).

Cette frilosité semble peu justifiée.

D’une part, la personne lésée, en raison du retard dans l’indemnisation, souffre d’un besoin d’argent qui devrait normalement la conduire à contracter des emprunts bancaires. On sait que, dans la pratique bancaire, les intérêts en compte sont capitalisés automatiquement « lors de chaque arrêté périodique » (cf. Note 38). La légalité de cette pratique n’est plus discutée depuis l’arrêt du 27 février 1930 (cf. Note 39). La personne lésée qui, en raison du retard de l’indemnisation, a besoin d’un crédit bancaire, va être nécessairement soumise à un régime de capitalisation des intérêts en compte courant. Il semblerait logique qu’elle demande systématiquement la capitalisation des intérêts compensatoires d’année en année.

D’autre part, la doctrine souligne que l’article 1154 du Code civil a pour but de protéger « le débiteur peu fortuné ». L’assureur du tiers responsable, qui tarde à payer les indemnités, est-il ce débiteur peu fortuné que la loi doit protéger ?



Jean-Luc Fagnart
Avocat au barreau de Bruxelles

Cabinet Thelius



Notes:

(1) Cass., 16 janvier 1998, Pas., 1998, 86 ;- Cass., 20 février 2004, Pas., 2004, 297.
(2) Cass., 6 octobre 1999, Pas., 1999, 1282.

(3) J.L. Fagnart, « Les intérêts ou le prix de la patience », RGDC, 2006, 191-202.

(4) V. les références citées par D. de Callataÿ et N. Estienne, La responsabilité civile. Chronique de jurisprudence 1996-2007, vol. II, ‘Le dommage’, Larcier, 2010, 576-577.

(5) Cass., 6 novembre 2007, Pas., 2007, 1942 ; RW, 2007-08, 1716, note C. Idomon ; RW, 2007-08, 1716, note B. Weyts.

(6) http://www.euribor.org/

(7) http://fr.wikipedia.org/wiki/Euribor

(8) S. Buron, « Libor : le scandale financier du siècle », htpp://trends.levif.be/economie/actualite/banque-et-finance/Libor-le-scandale-financier ».

(9) Sur cette loi : C. Biquet-Mathieu, « A propos de la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales », in Mélanges offerts à Marcel Fontaine, Bruxelles, Larcier, 2003, 3-43 ;- C. Biquet-Mathieu et C. Delforge, op.cit., Chron. JPPol., 2008, 284 et s. ;- S. Ongena et V. Vanpeteghem, « Betalingsachterstand bij handelstransacties », NJW, 2003, 366-375 ;- C. Parmentier et D. Patart, « La loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales », RDC, 2003, 217-226 ;- D. Philippe, M. Gouden et M. Baetens, « La loi du 2 août 2002 concernant le retard de paiement dans les transactions commerciales », DAOR, 2002, n° 63, 186 et s. ;- V. Sagaert et U. Samoy, « De wet van 2 augustus 2002 betreffende de bestrijding van de betalingsachterstand bij handelstransacties », RW, 2002-03, 321-334 ;- P. Wéry, « La loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales et ses incidences sur le régime des clauses pénales », JT, 2003, 869.

(10) Loi-programme I du 27 décembre 2006, art.87 §2.

(11) G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil (dir. J. Ghestin), Les effets de la responsabilité, Paris, LGDJ, 2001, 599, n° 334-1. Les auteurs exposent que les articles 1153 à 1155 du Code civil « étaient nettement inspirés du souci de protéger le débiteur contre une pression exagérée du créancier. Ils étaient très marqués par la répugnance traditionnelle de notre Ancien droit à l’égard du commerce de l’argent et des profits tirés de celui-ci. Cette défiance s’est manifestée principalement par la fixation à un niveau assez faible d’un taux légal des intérêts de retard, … ».

(12) Considérant n° 7 de la directive du 29 juin 2000.

(13) Bruxelles, 26 mai 2003, RGAR, 2004, n° 13887. La formule est reprise par Pol. Nivelles, 24 juin 2010, EPC, 2011, livr.16, III.3.Nivelles, 25 ; EPC, 2011, livr.16, III.2.Nivelles, 29.

(14) Civ. Bruxelles, 24 février 2006, RGAR, 2007, n° 14234 ;- Pol. Halle, 16 mars 2006, CRA, 2006, 734 ;- Pol. Gand, 21 mai 2003, Bull.ass., 2004, 178.

(15) J.L. Fagnart, « Les intérêts ou le prix de la patience », op.cit., 199, n° 47.

(16) Civ. Namur, 15 février 2006, RGAR, 2007, n° 14210 ;- Pol. Bruges, 7 décembre 2004, Bull.ass., 2005, 599, note P. Graulus ;- Civ. Bruxelles (11e Ch), 2 novembre 2010, inédit, R.G. 98/6499/A, J. Rosenboom et A. Wery c. Charton et autres.

(17) Pol. Bruxelles, 2 juillet 2010, EPC, 2011, livr.16, III.3.Bruxelles, 47.

(18) Voy. notamment : Cass., 13 avril 1988, JT, 1988, 315 ; JLMB, 1988, 761, note T. Afschrift ; RGAR, 1988, n° 11366. La jurisprudence française se prononce dans le même sens : Cass.fr., 7 juillet 2011, RGDA, 2011, 1107, note A. Pélissier.

(19) Cass., 30 novembre 1977, Pas., 1978, 351 ; RW, 1978-79, 1157 ;- Cass., 20 février 2009, Pas., 2009, 553 ; RGAR, 2010, n° 14665 : « Lorsque la victime a le droit de faire appel à une aide professionnelle payante, ce dommage matériel peut être évalué par le juge au montant dû pour cette aide, même si la victime n’a pas fait appel à cette aide professionnelle payante ».

(20) Cass.fr., 31 mars 1993, RTDC, 1993, 838, note P. Jourdain.

(21) Cass.fr., 2 décembre 2003, RC&ass., 2004, comm. 56 ;- Cass.fr., 7 juillet 2011, RGDA, 2011, 1107, note A. Pélissier.

(22) Cass.fr., 28 avril 1975, RTDC, 1976, 150, note G. Durry.

(23) D. Gardner, L’évaluation du préjudice corporel, Cowansville (Québec), éd. Yvon Blais, 2002, 559, n°634.

(24) Cass., 20 février 1980, Pas., 1980, 736 ; RGAR, 1981, n° 10280.

(25) Cass., 13 octobre 1999, RW, 2001-02, 1428 ; RGDC, 2002, 313.

(26) Cass., 16 mai 2001, Pas., 2001, 877 ; RGDC, 2002, 310. Sur cet arrêt : B. De Temmerman, « Recente cassatierechtspraak inzake schade en schadevergoeding (2001-2003) », RGAR, 2003, n° 13763, spéc. point 8.

(27) Cass., 8 mai 2003, Pas., 2003, 955 ; RGAR, 2004, n° 13886 ; Bull.ass., 2004, 536, note H. Ulrichts ;- Cass., 20 février 2004, Pas., 2004, 297.

(28) D. de Callataÿ et N. Estienne, La responsabilité civile. Chronique de jurisprudence 1996-2007, vol. II, ‘Le dommage’, Larcier, 2010, 573.

(29) D. de Callataÿ et N. Estienne, op.cit., 572.

(30) Cass., 20 février 2004, Pas., 2004, 297 ; RGAR, 2005, n° 14058.

(31) V. ci-dessus, nos 74 à 79.

(32) Sur l’anatocisme : C. Alter, « L’anatocisme », JT, 2007, 459-462 ;- C. Biquet-Mathieu, Le sort des intérêts dans le droit du crédit. Actualité ou désuétude du Code civil ?, coll. Scientifique de la Faculté de droit de Liège, 1998, 120 et s. ;- H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. III, n° 149 et 150 ;- P. Emy, « Les deux visages de la capitalisation des intérêts », RTDC, 2006, 549 et s.

(33) M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. VII, ‘Obligations’ par P. Esmein, Paris, LGDJ, 1931, 193, n° 887.

(34) P. Van Ommeslaghe, Droit des obligations, t. II, Bruxelles, Bruylant, 2010, 1645, n° 1151.

(35) Cass., 22 décembre 2006, Pas., 2006, 2855 ; RW, 2006-07, 1439.

(36) Cass., 16 décembre 2002, Pas., 2002, 2418 ; JTT, 2003, 89 ; RW, 2004-05, 1500, note A. Van Oevelen.
(37) Liège, 13 mai 2003, JT, 2003, 735 ;- Gand, 22 janvier 2004, Bull.ass., 2004, 804.

(38) J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial, t. IV, Bruxelles, Bruylant, 1988, 318, n° 438.

(39) Cass., 27 février 1930, Pas., 1930, 129, et les concl. de l’avocat général van den Kerkhove. Pour la jurisprudence récente : Bruxelles, 6 septembre 1999, RDC, 2000, 703, note J.P. Buyle et M. Delierneux.



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