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Les créanciers des intérêts compensatoires



Les intérêts compensatoires peuvent être demandés par des personnes qui sont créancières de l’indemnité principale. Ce sont d’une part les victimes directes et indirectes, et d’autre part les personnes subrogées dans le droit de la victime.

1. Les victimes directes et indirectes

La victime a droit à des intérêts compensatoires sur l’indemnité principale destinée à réparer le dommage qu’elle a subi, en raison d’un retard mis par le tiers responsable à payer les indemnités.

Une difficulté se présente parfois lorsque le retard dans l’indemnisation est imputable à la victime.

Ce retard, s’il est dû à une négligence, constitue une faute de la victime (cf. Note 1). On sait qu’en cas de fautes concurrentes du tiers responsable et de la victime, le juge du fond apprécie dans quelle mesure la faute de chacun contribue à causer le dommage et détermine, sur ce fondement, la part de dommages et intérêts due par le tiers à la victime (cf. Note 2).

S’inspirant de ce principe général, mais de façon un peu trop cinglante, la Cour de cassation décide que, si le retard dans l’indemnisation est imputable « à une faute ou à une négligence de la victime, celle-ci n’est pas fondée à en demander réparation, même si le tiers responsable n’a subi aucun préjudice en raison de ce retard » (cf. Note 3).

L’arrêt doit être approuvé en ce qu’il précise que le principe qu’il énonce doit être appliqué « même si le tiers responsable n’a subi aucun préjudice en raison de ce retard ». En effet, la réduction de l’indemnité revenant à la victime est justifiée par le lien de causalité qui existe entre sa faute et le dommage qu’elle subit elle-même. Le préjudice éventuel du tiers responsable est étranger à cette question.

En revanche, il est permis de penser que le principe énoncé par l’arrêt du 18 septembre 1996 est trop radical en ce qu’il énonce que la victime n’est pas fondée à obtenir la réparation du dommage résultant du retard dans l’indemnisation si ce retard est imputable à sa faute ou à sa négligence. La faute de la victime, si elle n’est pas la cause exclusive du dommage, entraîne la réduction de l’indemnité, mais non sa suppression. L’application correcte des principes voudrait que l’on décide que si le retard est imputable à une faute de la victime, celle-ci n’est pas fondée à demander la réparation intégrale du préjudice né du retard dans l’indemnisation. Ce préjudice en effet a au moins deux causes : la faute originaire du tiers responsable et la négligence de la victime dans la poursuite de la demande d’indemnisation.

On sait que, en cas de retard dans l’indemnisation imputable à la faute de la victime, la jurisprudence adopte des sanctions diverses, les plus fréquentes étant la suspension du cours des intérêts compensatoires pendant la période qui couvre l’inertie fautive de la personne lésée, et la réduction du taux des intérêts compensatoires (cf. Note 4).

Si l’on veut bien admettre que le préjudice résultant du retard dans l’indemnisation a pour causes aussi bien la faute originaire du tiers responsable que la négligence de la victime dans la poursuite de la demande d’indemnisation, il faudrait cumuler les deux formules jurisprudentielles. En cas de retard imputable à la victime, la solution correcte serait une combinaison de deux sanctions appliquées, à savoir la réduction du taux des intérêts compensatoires pendant la période au cours de laquelle la personne lésée a fait preuve d’une négligence fautive.


2. Les personnes subrogées dans les droits de la victime

Les personnes subrogées dans les droits de la victime peuvent réclamer des intérêts compensatoires à dater du jour où leur subrogation s’opère (cf. Note 5).

La subrogation s’opère en principe à la date du paiement sauf lorsque la loi en dispose autrement. On sait que l’article 47 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail dispose que l’assureur-loi est subrogé dans les droits de la victime notamment par la constitution d’un capital représentatif de la rente. L’assureur subrogé peut prétendre à des intérêts compensatoires sur ce capital depuis la date de constitution de celui-ci (cf. Note 6).




Jean-Luc Fagnart
Avocat au barreau de Bruxelles

Cabinet Thelius




Notes:


(1) Sur la faute de la victime : B. Dubuisson, V. Callewaert, B. De Coninck et G. Gathem, La responsabilité civile. Chronique de jurisprudence 1996-2007, vol. I, ‘Le fait générateur et le lien causal’, Larcier, 2010, 350-363 ;- J.L. Fagnart, La causalité, Kluwer, 2009, 267 et s.

(2) Cass., 5 septembre 2003, Pas., 2003, 1360.

(3) Cass., 18 septembre 1996, Pas., 1996, 824 ;- dans le même sens : Anvers, 9 décembre 2009, RW, 2001-12, 1303.

(4) D. de Callataÿ et N. Estienne, La responsabilité civile. Chronique de jurisprudence 1996-2007, vol. II, ‘Le dommage’, Larcier, 2010, 580-583.

(5) Cass., 19 avril 2006, Pas., 2006, 862.

(6) Cass., 18 septembre 1996, Pas., 1996, 824.

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