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Le sort des provisions



Lorsque le décompte total des indemnités revenant à la victime peut être établi, il faut régler le sort des provisions. Si le paiement des indemnités provisionnelles était justifié, celles-ci vont normalement s’imputer sur le solde restant dû (point.1). En revanche, des difficultés particulières se présenteront si les indemnités provisionnelles payées n’étaient pas dues (point 2).


1. L’imputation des provisions justifiées

La question pourrait appeler une solution très simple. Les indemnités provisionnelles payées devraient s’imputer d’abord sur les dépens, ensuite sur les intérêts et enfin sur le capital (cf. Note 1).

Si l’imputation sur les dépens ne pose en principe guère de difficultés, l’imputation prioritaire des indemnités provisionnelles sur les intérêts fait l’objet d’une jurisprudence extrêmement complexe qui sera examinée ci-dessous (chap.III).

Une dernière question peut résulter de l’actualisation de l’indemnité finale. A cet égard, la Cour de cassation considère que le juge du fond peut décider souverainement de tenir compte de la valeur nominale des provisions payées, lorsqu’il estime que ces provisions ne sont que des avances sur l’indemnité définitive. Le même arrêt souligne cependant que, si le juge déduit du montant actualisé du dommage des sommes provisionnelles payées et non actualisées, il viole le principe de l’indemnisation intégrale (cf. Note 2) , car il accorde à la victime une indemnité qui excède le montant du dommage subi.


2. Les indemnités provisionnelles excessives

Bien que cela ne soit pas fréquent, il peut arriver que l’indemnité provisionnelle payée excède le montant qui, en réalité, revient finalement à la personne lésée. Est-il possible de récupérer le montant excédant l’indemnité finalement due ?
La réponse à cette question varie selon que l’indemnité a été payée spontanément ou en exécution d’une décision judiciaire.

La provision payée volontairement

Le responsable ou l’assureur qui paie une indemnité provisionnelle qu’il ne devait pas payer, peut la récupérer conformément aux articles 1376 et 1377 du Code civil. Il incombe bien entendu au demandeur en restitution de l’indu de prouver qu’il a payé par erreur une somme qu’il ne devait pas payer (cf. Note 3).

On ne peut opposer à l’assureur qu’il aurait payé en vertu d’une transaction. Chacun sait que la transaction est une convention conclue pour mettre fin au litige. Le paiement d’une indemnité provisionnelle ne met pas fin au litige et ne constitue dès lors pas une transaction.

La Cour de cassation l’a confirmé en décidant que l’assureur qui indemnise la victime d’un accident parce qu’il considère que son assuré est responsable, peut, lorsque le juge pénal constate ultérieurement que l’assuré n’est pas responsable, répéter le montant payé, « lorsqu’il n’apparaît pas que les parties ont voulu régler définitivement leurs droits par ce paiement » (cf. Note 4).

La provision payée en exécution d’une décision judiciaire

Lorsque la provision a été payée en exécution d’une décision judiciaire, il convient d’examiner s’il s’agit d’une ordonnance de référé ou d’une décision au fond.

A/ L’ordonnance de référé

On sait que le juge des référés statue au provisoire (Code judiciaire, art.584). L’article 1039 du Code judiciaire rappelle, pour autant que de besoin, que les ordonnances sur référé ne portent pas préjudice au principal.

Il en découle que le juge du fond n’est pas lié par la décision prise en référé et qu’il peut dès lors établir un nouveau décompte faisant apparaître comme indu ce que le juge des référés avait considéré comme ‘incontestablement dû’.

B/ La décision au fond

La situation est différente lorsque l’indemnité provisionnelle a été allouée par le juge du fond, par exemple avant une mesure d’instruction. On se trouve donc en présence d’une décision au fond qui détermine l’incontestablement dû et qui, par hypothèse, n’a été ni réformée, ni cassée ni annulée.

La partie qui a été condamnée à payer une indemnité provisionnelle excédant le montant réel de la créance du demandeur en indemnisation, peut-elle exercer une action en répétition de l’indu contre le demandeur originaire ? Si elle ne le peut, pourrait-elle mettre en cause la responsabilité de l’Etat belge pour une faute commise dans l’exercice de la fonction juridictionnelle ?

1° L’action en répétition de l’indu contre la personne lésée

Celui qui doit payer une indemnité totale provisionnelle en vertu d’un jugement exécutoire par provision n’est pas dans une situation trop difficile. En cas de réformation de ce jugement en degré d’appel, le paiement effectué en exécution de la décision réformée, justifie une action en répétition (cf. Note 5).

En revanche, celui qui doit payer une indemnité provisionnelle en exécution d’un jugement avant dire droit non frappé d’une voie de recours, peut rencontrer bien des difficultés.

Il peut sans doute exercer une voie de recours contre la décision allouant une provision excessive, sauf bien entendu s’il a acquiescé à la décision ou si celle-ci est passée en force de chose jugée. Si la provision a été allouée par une juridiction d’appel, un pourvoi en cassation sera le plus souvent peu envisageable, car l’appréciation du montant d’une indemnité provisionnelle relève de l’appréciation souveraine du juge du fond.

L’action en répétition de l’indu contre la personne lésée se heurte donc à bien des difficultés.

Un arrêt décide prudemment que l’action en répétition d’une somme payée en exécution d’une décision judiciaire mais que le demandeur prétend indue, est de la compétence du juge du fond et non pas de celle du juge des saisies (cf. Note 6).

Le juge du fond doit examiner la recevabilité et le fondement de la demande en répétition de l’indu formé par l’assureur qui a payé l’indemnité provisionnelle.

C’est à tort que le défendeur dans l’action en répétition de l’indu tenterait de faire rejeter la demande en lui opposant l’exception de chose jugée (Code judiciaire, art.25).

En effet, les conditions de l’article 23 du Code judiciaire ne sont pas remplies. La demande en répétition de l’indu de l’assureur contre la personne lésée n’a pas le même objet, ni la même cause que la demande d’indemnisation provisionnelle qui avait été formée par la personne lésée contre l’assureur.

Dans l’examen du fond de la demande en répétition de l’indu, l’autorité de la chose jugée va néanmoins réapparaître.
De ce qu’il n’y a pas identité entre l’objet et la cause d’une action définitivement jugée et ceux d’une autre action ultérieurement exercée entre les mêmes parties, il ne se déduit pas nécessairement que pareille identité n’existe à l’égard d’aucune prétention ou aucune contestation élevée par une partie dans l’une et l’autre instance, ni, partant, que le juge puisse accueillir une prétention dont le fondement est inconciliable avec la chose antérieurement jugée (cf. Note 7).

La jurisprudence a fait application de ces principes à la matière ici examinée. La Cour de cassation rappelle en effet qu’un paiement n’est indu que s’il est dépourvu de cause. Il n’est pas indu s’il trouve sa cause dans une décision judiciaire (cf. Note 8) . En d’autres termes, l’assureur qui a payé une indemnité provisionnelle excessive doit voir son action en répétition de l’indu déclarée recevable mais non fondée. La somme payée était due en vertu d’un jugement revêtu de l’autorité de la chose jugée.

2° L’action en responsabilité contre l’Etat belge

La partie qui a été condamnée à payer une indemnité provisionnelle qui ultérieurement s’avère excessive, et qui ne peut pas la récupérer, pourrait-elle mettre en cause la responsabilité de l’Etat en raison d’une faute commise dans l’exercice de la fonction juridictionnelle ?

La réponse négative est certaine. Il est de principe en effet que la demande tendant à la réparation du dommage résultant d’un acte juridictionnel, ne peut être reçue que si certaines conditions sont remplies.

Il faut notamment que :

- l’acte litigieux ait été retiré, réformé, annulé ou rétracté, et ne soit plus revêtu de l’autorité de la chose jugée ;
- l’acte litigieux doit avoir été retiré, réformé, annulé ou rétracté en raison de « la violation d’une norme juridique établie ». (cf. Note 9)

Dans l’hypothèse ici envisagée, la décision judiciaire critiquée n’a fait l’objet d’aucun recours et reste revêtue de l’autorité de la chose jugée ; en outre, elle se fonde sur une appréciation des faits et ne viole donc pas ‘une norme juridique établie’.



Jean-Luc Fagnart
Avocat au barreau de Bruxelles

Cabinet Thelius




Notes:

(1) C. Dalcq, « L’imputation des paiements », JT, 1988, 77 et s., spéc. n° 4 et les réf.

(2) Cass., 29 janvier 1996, Pas., 1996, 141.

(3) Cass., 15 septembre 1960, Pas., 1961, 50.

(4) Cass., 3 mars 1983, Pas., 1983, 734.

(5) Cass., 15 septembre 1983, Pas., 1984, 42, et les concl. du Procureur général Liekendael.

(6) Liège, 13 mai 1997, RGAR, 1998, n° 13001.

(7) Jurisprudence constante : Cass., 27 mars 1998, JLMB, 1998, 1376, note J. de Lannoy et M. Denys ;- Cass., 14 février 2002, Pas., 2002, 429 ;- Cass., 27 mai 2004, Pas., 2004, 932 ;- Cass., 30 septembre 2004, Pas., 2004, 1432 ;- Cass., 4 décembre 2008, Pas., 2008, 2834 ;- Cass., 14 décembre 2009, Pas., 2009, 2998.

(8) Cass., 16 mai 2002, Pas., 2002, 1166 ; RW, 2002-03, 659, note V. Sagaert ;- dans le même sens : Gand, 4 mars 2003, Bull.ass., 2003, 837.

(9) Jurisprudence constante : voy. not. Cass., 19 décembre 1991, RCJB, 1993, 285 et sv., note F. Rigaux et J. Van Compernolle ; JLMB, 1992, 42, note F. Piedboeuf ; RRD, 1992, 411, note C. Jassogne ; JT, 1992, 449, note R.O. Dalcq ;- Cass., 8 décembre 1994, JT, 1995, 497, note R.O. Dalcq ; Cass., 26 juin 2008, JLMB, 2009, 52 et 58, note D. Philippe ; Pas., 2008, 1732, concl. T. Werquin ; RCJB, 2010, 183, note D. Renders ; TBP, 2009, 552, note F. Meersschaut ; voy. aussi La responsabilité professionnelle des magistrats, in « Les cahiers de l’Institut d’études sur la Justice », n° 10, Bruylant, 2007.



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