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Pouvoirs du conseil d’administration – notion d’intérêt social



Le conseil d’administration a les pouvoirs les plus étendus pour accomplir tous les actes nécessaires ou utiles à la réalisation de l’objet social, à l’exception de ceux que la loi ou les statuts réservent à l’assemblée générale (article 522, §1er du Code des sociétés) .

Le conseil d’administration dispose donc des compétences résiduaires à celles de l’assemblée générale (nomination des administrateurs, approbation des comptes, décharge à donner aux administrateurs, augmentations et réduction de capital, etc.) ou à celles des commissaires aux comptes, qui sont définies par le Code des sociétés ou par les statuts de la S.A.

En d’autres termes, tout ce qui n’est pas attribué par le Code des sociétés ou les statuts aux autres organes de la S.A. relève la compétence du conseil d’administration.


Lorsque les statuts prévoient des restrictions aux pouvoirs du conseil d’administration, celle-ci ne sont pas opposables aux tiers, même en cas de publication au Moniteur belge.

Conformément aux règles du mandat, il n’en sera autrement que si le tiers savait ou ne pouvait pas ignorer que le conseil d’administration sortait du cadre de son mandat. Il faudra donc prouver la mauvaise fois du tiers en prouvant d’une part que le tiers avait connaissance des statuts et d'autre part, le manque de conformité de l’acte posé par rapport à ceux-ci. En pratique, cette preuve sera particulièrement difficile à apporter.

Il est à noter que, les restrictions n’étant qu’internes à la société, cet argument de nullité de l’acte posé pour mauvaise foi du tiers ne pourra être invoqué que par la société et non par le tiers qui désirerait se délier de l’acte conclu.


Les restrictions aux pouvoirs externes du conseil d’administration sont par contre opposables aux tiers si elles concernent le pouvoir général de représentation (et non pas certains actes déterminés) et si elles ont été publiées (Article 522, §2 du Code des sociétés). Les statuts peuvent donc prévoir que la société sera valablement représentée vis-à-vis des tiers et en justice par un ou plusieurs administrateurs que les statuts désigneront nommément, ou par plusieurs administrateurs agissant conjointement (comme une clause de double signature).


Le conseil d’administration doit agir dans l’intérêt social.

La notion d’intérêt social a été longtemps controversée en droit des sociétés.

Plusieurs courants d’idées s’opposaient : selon le premier, l’intérêt social n’était rien d’autre que l’intérêt des actionnaires de la société. Le second tendait à inclure dans cette notion les différents intérêts présents dans une entreprise (intérêt des actionnaires mais aussi des clients, fournisseurs, employés, de la collectivité régionale ou nationale, etc.). Une troisième notion préférait faire référence aux « intérêts communs des associés », définis comme étant l’intérêt patrimonial des associés au succès économique, à court, moyen ou long terme de la société (going concern) mais aussi des futurs associés de la société. Cet intérêt des futurs associés inclut une bonne gestion des intérêts autres que purement patrimoniaux des actionnaires, dans la mesure où le contentement des clients, des fournisseurs, des travailleurs, etc. doivent obligatoirement rentrer de ligne de compte pour garantir le succès de la société dans le temps.

Le Code Buyse, équivalent du Code Lippens pour les sociétés non cotées, reprend dans ses recommandations pour une bonne gestion la prise en compte des intérêts des fournisseurs (entretenir une collaboration durable), des clients (qui doivent bien entendu être satisfaits), du personnel, ainsi que la nécessité d’entretenir une relation de confiance avec les banques, etc.

La cour de cassation a, dans un arrêt du 28 novembre 2013, a tranché, en jugeant que « l’intérêt de la société est déterminé par l’intérêt lucratif collectif des actionnaires présents et futurs ».

La référence à l’« actionnaire futur » ne permet pas de réduire la notion d’intérêt social à l’intérêt patrimonial exclusif de l’actionnaire actuel. Dans son rapport annuel, la cour de cassation précise que « cela indique que l’intérêt social vise aussi la continuité de l’entreprise et doit donc recevoir une interprétation dynamique et tournée vers l’avenir ».

Il faut donc tenir compte d’une part de l’intérêt de l’actionnaire, qui a apporté des capitaux ou des actifs à la société et qui entend légitimement en tirer profit, mais aussi de l’entreprise, sans son optique de continuité, incluant l’intérêt de toutes les parties qui contribuent à sa prospérité (travailleurs, fournisseurs, etc.).

La notion d’intérêt social doit être également appréciée dans le cadre d’un groupe de sociétés. La doctrine et la jurisprudence admettent depuis quelques années qu’on puisse tenir compte de la réalité économique que constitue un groupe de sociétés, et qu’on considère un intérêt de groupe, pouvant imposer « certains sacrifices à une des sociétés membres du groupe, qui par ailleurs tire avantage de son appartenance au groupe ».

Trois limites doivent demeurer à ces sacrifices au nom de l’intérêt de groupe :

- le groupe ne peut dans l’intérêt commun sacrifier un de ses membres : une filiale dont les activités sont viables ne pourrait se voir forcée de stopper ses activités au profit d’une autre filiale du groupe, même si cette décision est justifiable au niveau de l’ensemble du groupe compte tenu des économies d’échelle et des perspectives commerciales (Comm. Anvers, 8 janvier 2010, JDSC 2011, p. 125),

- le groupe ne peut imposer une rupture durable de l’équilibre entre les sacrifices imposés à une société membres et les avantages qu’elle peut en retirer de son appartenance au groupe,

- il faut qu’il existe au sein de ce groupe une réelle politique économique commune, structurée et organisée, créant une « interpénétration économique et commercial des sociétés qui se soutiennent mutuellement, dont chaque société tire avantage et qui justifie que certains sacrifices soit imposés de par son appartenance au groupe.




Pierre Paulus de Châtelet
Avocat au barreau de Bruxelles - Association De Caluwé & Horsmans



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