Imprimer

L'appréciation de l'incapacité de travail indemnisable



L’incapacité de travail qui consiste dans la perte ou la diminution du potentiel économique de la victime s’apprécie principalement en fonction de sa capacité de concurrence sur le marché général de l’emploi.

Cette capacité concurrentielle est déterminée par la possibilité dont la victime dispose encore par rapport à d’autres travailleurs d’exercer une activité professionnelle normale parmi l’ensemble des professions qui constituent « son » marché général de l’emploi et qui lui sont encore raisonnablement accessibles.

Il convient en effet de tenir compte d’une réinsertion professionnelle réaliste et non purement hypothétique voire chimérique de la personne atteinte dans sa capacité de travail.

On peut citer GOSSERIES (in JTT 1992, p. 137 et suivantes) qui souligne à juste titre que : « les travailleurs non qualifiés ou très peu formés ou encore à scolarité rudimentaire sont reconnus plus aisément inaptes au travail pour un handicap comparable ».

Pour apprécier les capacités d’embauche d’une personne victime d’un accident du travail, il sera tenu compte non seulement de son incapacité physiologique mais également des facteurs socio-économiques qui lui sont propres.

Ces facteurs sont principalement l’âge, le sexe, la qualification professionnelle, la faculté d’adaptation, la possibilité de rééducation professionnelle, ou toute autre infirmité préexistante.

Il est évident que ces facteurs, bien qu’étrangers à la situation médicale de la victime, peuvent avoir une répercussion aggravante sur sa situation économique (BOLLE, Les Accidents du Travail, p. 255).

Ce sont en fait ceux-ci qui permettent d’adapter le taux d’incapacité physique à la situation concrète de la victime (BOLLE, Op cit, p. 255).

En effet, « ce qui importe c’est de déterminer la réalité de la répercussion socio-économique de l’accident sur la capacité de travail de la victime, individu non abstrait, avec ses défauts et ses qualités, ses potentialités et ses tares. Tout élément d’appréciation peut, le cas échéant, être jugé pertinent dans un cas d’espèce… » (BOLAND, Etat antérieur et accidents du travail, R.G.A.R., 1993, 12.113).

Dans son article mentionné ci-dessus, cet auteur reprend l’arrêt du 23 décembre 1965 de la Cour de cassation qui affirmait déjà :

«Il importe peu que l’incapacité de travail déclenchée par l’accident du travail n’atteigne un degré particulièrement élevé que par suite des déficiences antérieures de l’état de la victime ».

Cette juridiction suprême a réaffirmé ses propos dans son arrêt du 11 décembre 1978 :

« L’accident qui diminue la capacité d’un ouvrier, déjà diminué par son état antérieur, aggrave l’influence de l’état antérieur sur la perte de capacité économique qui doit être appréciée dans son ensemble, malgré que l’état antérieur soit indépendant de l’accident » (Revue de Droit Social, 1981, p. 17).

Il résulte de ce qui précède que l’état antérieur d’une victime d’un accident du travail peut devoir s’apprécier à deux niveaux.

Ce principe a été rappelé par le tribunal du travail de Charleroi dans son jugement inédit du 13 décembre 2000 (R.G. 138.197/A) :

« …l’incidence de l’état antérieur peut intervenir à deux niveaux : d’abord sur la détermination du taux d’incapacité physique, ensuite sur la répercussion économique de la capacité de travail de la victime. En ce qui concerne la détermination du taux d’incapacité, la doctrine et la jurisprudence appliquent la théorie de l’équivalence des conditions. Dès que l’accident est au moins la cause partielle de l’incapacité, le taux de réparation doit englober tout le passif de la victime (…).

Ainsi, l’incapacité de travail d’une victime d’un accident du travail doit être appréciée dans son ensemble sans tenir compte de son état de prédisposition antérieur, dès lors et aussi longtemps que l’accident du travail est au moins en partie cause du dommage (…)

Si par contre il n’y a aucune relation causale entre l’accident du travail et l’état antérieur (que cet état antérieur n’a donc pas été aggravé par l’accident du travail), il n’y a pas lieu d’englober cet état antérieur. Seules les séquelles qui relèvent strictement de l’accident du travail seront prises en compte pour la détermination du taux.

Ce n’est qu’au stade ultérieur de la répercussion économique qu’interviendra l’état antérieur étranger à l’accident du travail.

Ces deux étapes dans la détermination de la capacité à indemniser sont expliquées par Yvon HANNECART en ces termes, dans le Guide Social Permanent ( …) »

« …deux étapes dans la détermination de l’incapacité à indemniser : une première, qui consiste à déterminer le dommage juridique imputable à l’accident et une seconde, qui vise à évaluer le dommage proprement dit par la prise en compte dans chaque cas d’espèce de l’étendue de l’incapacité compte tenu des circonstances de la cause, parmi lesquelles l’état antérieur en relation non causale avec l’accident. Ainsi, une lésion au bras d’une personne, atteinte par ailleurs de cécité, aura concrètement des répercussions plus graves en raison de l’invalidité préexistante. Autrement dit, lorsqu’il s’agira d’évaluer concrètement la perte de capacité consécutive à l’accident, l’état antérieur consolidé, étranger à l’accident, sera pris en compte en tant qu’il exerce une répercussion sur la capacité de travail résiduelle de la victime, au même titre que d’autres caractéristiques de la victime, telles que l’âge, la formation, la carrière professionnelle, etc. Ceci ne signifie pas que l’état d’incapacité antérieur sera indemnisé en tant que tel comme conséquence de l’accident, mais qu’il en sera tenu compte dans l’appréciation in concreto du dommage, comme il sera tenu compte de toutes les autres caractéristiques pertinentes de la victime dans l’appréciation de l’atteinte portée à sa capacité de concurrence sur le marché de l’emploi.

Dans cette optique, la prise en compte de l’état antérieur ne constituerait pas une application de la règle du forfait (qui ne s’applique que si le dommage est imputable, même partiellement, à l’accident) mais une application de l’évaluation in concreto de l’incapacité de travail de l’accident ».

Cette approche de l’incidence de l’état antérieur à un double niveau (celui du lien de causalité entre l’accident et l’état antérieur et celui de la répercussion socio-économique) est partagée par BOLAND (BOLAND op cit. R.G.A.R. 1983, 12113, dernière page de son article)
».

Force est dès lors de constater que les lésions provoquées par un accident du travail ne sont pas les seules à entrer en ligne de compte pour l’appréciation de l’incapacité de travail indemnisable par l’assureur loi si bien que les experts devront préciser clairement les éléments sur lesquels ils vont se fonder pour fixer le taux d’incapacité permanent de travail d’une personne.







Dominique MAYERUS
Avocat au barreau de Bruxelles





Imprimer cette fiche (format A4)