[ANALYSE] Le Conseil d'Etat décide de ne pas annuler les circulaires linguistiques

Vendredi 31.12.04

Les circulaires linguistiques flamandes resteront d’application. Telle est la conséquence des arrêts du Conseil d’Etat du 23 décembre 2004. Le débat juridique relatif à la portée des facilités linguistiques est toutefois loin d’être clos.


Arrêts du Conseil d’Etat du 23 décembre 2004

Les circulaires linguistiques de la Communauté flamande sont au nombre de trois.

Une première circulaire, dite circulaire « Peeters », traite de l’emploi des langues au sein des communes de la Région flamande.

Une deuxième circulaire, dite circulaire « Martens », traite de l’emploi des langues au sein des CPAS de la Région flamande.

Enfin une troisième circulaire, dite circulaire « Van den Brande », consacre, à l’égard des autorités régionales, les mêmes principes que les deux circulaires précitées.

Par deux arrêts du 23 décembre 2004, le Conseil d’Etat a défrayé la chronique en décidant de ne pas annuler les circulaires « Martens » et « Peeters », au motif que les parties requérantes ne présenteraient pas d’intérêt légitime à leur recours. Il est probable que le recours en annulation qui a par ailleurs été introduit à l’encontre de la circulaire « Van den Brande » suivra le même sort et sera, par conséquent, également rejeté par la haute juridiction administrative.


Rappel des principes qui régissent l’emploi des langues en matière administrative

1. L’article 129 de la Constitution dispose que les Communautés, à l’exclusion de l’Etat fédéral, sont compétentes pour régler l’emploi des langues en matière administrative, chacune en ce qui l’a concerne.

Le législateur fédéral demeure toutefois seul compétent pour régler l’emploi des langues en matière administrative dans la Région bilingue de Bruxelles-Capitale, dans la Région de langue allemande et dans les communes à statut linguistique spécial (1).

2. Le siège de la matière réside dans les lois coordonnées du 18 juillet 1966 sur l’emploi des langues en matière administrative (M.B., 2 août 1966, p. 7.798).

Résumées de manière schématique, ces lois coordonnées s’articulent autour des quatre principes suivants :


 La Belgique est divisée en quatre régions linguistiques :

a) la région de langue néerlandaise ;

b) la région de langue française ;

c) la région de langue allemande ;

d) la région bilingue de Bruxelles-Capitale.


 Des règles différentes sont prévues pour :

a) Les services locaux, à savoir ceux dont l’activité ne s’étend pas à plus d’une commune ;

b) Les services régionaux, à savoir ceux dont l’activité s’étend à plus d’une commune mais pas à tout le pays ;

c) Les services dont l’activité s’étend à tout le pays.


 Les lois coordonnées répartissent l’action de l’administration en différentes catégories bien distinctes pour lesquelles des règles spécifiques sont édictées afin de réglementer de manière précise l’emploi des langues à l’occasion de chacune de ces actions administratives ; ces catégories sont, dans les grandes lignes, les suivantes :

a) le fonctionnement interne des administrations (« Les services intérieurs ») ;

b) les avis, communications et formulaires destinés au public ;

c) les rapports avec les particuliers (2) ;

d) les actes qui concernent les particuliers ;

e) les publications relatives à l’état civil ;

f) les certificats, déclarations et autorisations ;

g) dans certains cas, les rapports avec une entreprise privée.


 Les lois coordonnées établissent ensuite un certain nombre de règles spécifiques concernant l’emploi des langues en matière administrative dans un certain nombre de communes qui bénéficient d’un régime linguistique spécial, dont les communes de la frontière linguistique ainsi que les communes périphériques de la Région de Bruxelles-Capitale ; ces dernières seront appelées ci-après « communes dites à facilités ».


Régime des communautés dites à facilités

1. Les communes dites à facilités situées sur le territoire de la Région de langue néerlandaise sont de deux ordres : d’une part les communes périphériques de la Région de Bruxelles-Capitale, à savoir les communes de Drogenbos, Kraainem, Linkebeek, Rhode-Saint-Genèse, Wemmel et Wezembeek-Oppem et, d’autre part, un certain nombre de communes situées le long de la frontière linguistique, dites « commune de la frontière linguistique ».

Seule la question du régime linguistique applicable aux communes à facilités situées dans la périphérie de la Région de Bruxelles-Capitale nous intéresse en l’espèce, dès lors que les arrêts précités du Conseil d’Etat n’examinent que les seules dispositions y relatives. Les dispositions et principes applicables aux communes de la périphérie sont cependant, dans une large mesure, transposables aux communes de la frontière linguistique.

2. Dans les six communes à facilités de la périphérie, des facilités linguistiques sont prévues au profit des francophones qui y sont domiciliés. Les lois coordonnées leur permettent en effet d’entretenir, avec l’administration, des rapports en français.

Afin de permettre la mise en œuvre de ce régime de « bilinguisme externe », les lois coordonnées instaurent une obligation de bilinguisme à charge des agents qui exercent une fonction qui les met en contact avec le public dans quatre des six communes concernées.

Les autorités communales des deux autres communes (Wezembeek-Oppem et Rhode-Saint-Genèse) étant simplement tenues d’organiser leurs services de manière à ce qu’il puisse être satisfait sans difficulté aux obligations du bilinguisme externe. (3)

3. Chaque catégorie d’action administrative fait l’objet de dispositions spécifiques, énoncées, en ce qui concerne les communes périphériques, aux articles 23 à 31 des lois coordonnées.

Ainsi, l’article 24 des lois coordonnées dispose dans les termes suivants :

« Les services locaux établis dans les communes périphériques rédigent en néerlandais et en français, les avis, les communications et les formulaires destinés au public. »

L’article 25 dispose quant à lui dans les termes suivants :

« Les mêmes services emploient dans leur rapport avec un particulier la langue que l’intéressé utilise quand celle-ci est le néerlandais ou le français. »

Concernant les certificats, déclarations et autorisations délivrés au particulier, l’article 26 prescrit qu’ils sont rédigés en néerlandais ou en français, « selon le désir de l’intéressé ».

Sans prétendre être exhaustif, soulignons encore que l’article 28 dispose que dans les communes de Drogenbos, Kraainem, Linkebeek et Wemmel, « les actes sont rédigés en néerlandais ou en français, selon le désir de l’intéressé ».

Ces diverses dispositions s’imposent aux seules autorités locales, y compris les centres publics d’aide sociale. Diverses dispositions instaurent cependant des obligations similaires aux autorités régionales et fédérales dans leurs rapports avec les administrés qui résident dans les « communes dites à facilités ».


Interprétation et application de facilités avant les circulaires linguistiques

1. Avant l’adoption des trois circulaires linguistiques précitées, la pratique administrative constante était fixée en ce sens que, dans les communes à régime spécial, dès que le service administratif concerné a connaissance de l’appartenance linguistique des particuliers, obligation lui est faite d’utiliser la langue de ces derniers.

La jurisprudence constante de la Commission permanente de contrôle linguistique abondait dans le même sens : « quand ceux-ci ont marqué leur préférence linguistique lors d’un premier rapport avec le service ils ne doivent pas renouveler chaque fois leur demande d’obtenir les facilités prévues par la loi » (4) .

Si les avis rendus par la Commission permanente de contrôle linguistique sont dépourvus de toute force contraignante, ils n’en ont pas moins « une grande autorité morale et font preuve d’une grande valeur objective de sorte qu’il est plus difficile de s’en écarter »(5) .

Ladite Commission est en effet une instance spécialisée dans les questions linguistiques, instituée par les lois coordonnées elles-mêmes, et composée paritairement de membres francophones et néerlandophones.

2. Les habitants des communes à facilités étaient donc considérés comme puisant, dans les lois coordonnées et pour autant que l’administration concernée ait connaissance de la langue qu’ils « utilisent », le droit de recevoir systématiquement et en permanence les documents visés dans leur propre langue sans devoir rappeler au cas par cas leur appartenance linguistique.


Interprétation imposée par les circulaire linguistiques

1. Les trois circulaires linguistiques font état, dans un premier temps, du caractère unilingue néerlandophone de la Région flamande, de la circonstance selon laquelle les facilités n’engendrent aucun bilinguisme généralisé dans les communes concernées, de la nécessité d’interpréter les facilités de manière stricte, de l’impossibilité d’instaurer une subnationalité, ainsi que du prétendu caractère extinctif des facilités accordées, lesquelles auraient été instaurées aux seules fins de promouvoir l’intégration des francophones dans la région de langue néerlandaise.

2. Les circulaires linguistiques énoncent ensuite le principe selon lequel les administrations locales et régionales ne sont plus autorisées à adresser les actes administratifs et autres documents en français, sans que l’administré concerné n’ait sollicité spécialement une traduction au cas par cas.

En d’autres termes, les circulaires interdisent aux administrations concernées d’enregistrer de manière définitive l’appartenance linguistique de leurs administrés.

Tous les documents doivent être adressés dans un premier temps en néerlandais ; une traduction en français ne sera envoyée à un particulier que si ce dernier en fait la demande expresse.


Critique des circulaires linguistiques

1. Les circulaires linguistiques ont fait couler beaucoup d’encre dans la presse et dans les cénacles politiques.

2. En revanche, la doctrine et la jurisprudence ne sont guère abondantes sur le sujet. Elles reflètent en tout état de cause et de manière particulièrement fidèle la divergence d’opinion existant entre le Nord et le Sud du pays.

Ainsi, les articles et décisions qui émanent de juristes francophones concluent systématiquement à l’illégalité de l’interprétation imposée par les circulaires linguistiques flamandes (6) , tandis que la majorité des juristes néerlandophones qui se sont prononcés, tant dans la doctrine que dans la jurisprudence, ont refusé de censurer l’interprétation consacrée par les circulaires précitées (7) .

3. Deux prises de position méritent d’être ici rappelées, à savoir :

D’une part, la jurisprudence de la Commission permanente de contrôle linguistique, laquelle a toujours confirmé la thèse francophone selon laquelle les bénéficiaires des facilités linguistiques ne sont pas obligés de rappeler leur appartenance à l’occasion de chaque rapport avec l’administration. Or, cette instance n’est pas francophone mais composée paritairement de membres francophones et néerlandophones.

D’autre part, la position adoptée par deux auditeurs néerlandophones du Conseil d’Etat, dans le cadre des multiples recours introduits devant la haute juridiction administrative à l’encontre des circulaires précitées.

Un premier rapport fut ainsi rédigé le 26 janvier 2000 par l’Auditeur général ROELANDT, dans le cadre d’une affaire qui avait été fixée devant la Chambre bilingue du Conseil d’Etat. Cet auditeur avait considéré que la circulaire incriminée modifiait les lois coordonnées sur l’emploi des langues en matière administrative en subordonnant l’exercice des facilités à une condition supplémentaire, non prévue par la loi, à savoir l’envoi par l’administré d’une demande expresse d’obtention d’une traduction pour chaque acte administratif lui notifié.

Un deuxième rapport fut rédigé par l’auditeur DE SOMERE, en date du 5 avril 2002, après que l’affaire ait été renvoyée par la Chambre bilingue devant une Chambre néerlandophone. Cet Auditeur concluait de la même manière à l’illégalité des circulaires incriminées.


Arrêts de la chambre néerlandophone du Conseil d’Etat du 23 décembre 2004

Le raisonnement de ces arrêts est le suivant :

- La Communauté flamande soutient que les circulaires litigieuses sont purement interprétatives, de sorte que les recours seraient irrecevables ratione materiae ;

- Un tel raisonnement n’est pas retenu par la haute juridiction administrative qui considère qu’en raison de leur caractère général et contraignant, les circulaires ne peuvent, a priori, pas être exclues de la catégorie des actes annulables ;

- Cependant, poursuit le Conseil d’Etat, s’il apparaît que l’ancienne interprétation et la pratique administrative qui en a résulté (8) n’étaient pas légales, les circulaires litigieuses ne pourraient être considérées comme modifiant l’ordonnancement juridique et ce, quand bien même elles modifieraient la situation factuelle des intéressés. Ce qui amène le Conseil d’Etat à analyser les deux interprétations en présence ainsi que la pratique administrative découlant de l’ancienne interprétation.

- Les parties requérantes font à cet égard valoir que l’ancienne interprétation qu’elles soutiennent (9) serait contenue dans l’article 129 de la Constitution, de sorte qu’une telle interprétation ne pourrait être modifiée que par le biais d’une loi à majorité spéciale.

Une telle affirmation n’est pas fondée à l’estime du Conseil d’Etat qui considère que l’article 129 de la Constitution s’applique certes aux dispositions linguistiques, mais non à une certaine interprétation de ces dispositions. Or, poursuit la haute juridiction administrative, les parties requérantes ne démontreraient pas et n’affirmeraient même pas que les circulaires litigieuses auraient pour but de modifier le texte même des lois linguistiques ;

- L’interprétation des parties requérantes reposerait encore sur l’idée que les autorités devraient établir des listes de leurs administrés avec leur préférence linguistique. Une fois qu’il leur a été adressé des documents en français par des administrés, lesdites autorités devraient automatiquement et à chaque occasion s’adresser à eux en français.

- Les circulaires litigieuses, quant à elles et à l’estime du Conseil d’Etat, visent uniquement à combattre la pratique qui consiste à utiliser de manière permanente le français à l’aide de registres, même si l’administré n’a fait aucune demande en ce sens mais ne visent pas à empêcher les administrations à répondre aux administrés en français lorsque ceux-ci se sont précisément adressés à l’administration en français.

- Dès lors, estime de manière péremptoire le Conseil d’Etat, les circulaires ne contiennent aucune interprétation des mots « la langue que l’intéressé utilise » dont question à l’article 25 des lois coordonnées, lequel s’avère dès lors non pertinent pour la solution du litige.

- Tentant de justifier son raisonnement, la haute juridiction administrative énonce ensuite que les articles 26 et 28 des lois coordonnées n’expliquent pas de quelle manière la volonté des administrés d’obtenir les documents administratifs en français ou en néerlandais doit être portée à la connaissance de l’administration, et de quelle manière l’administration devrait concrètement enregistrer cette volonté.

Pour appréhender la portée de ces dispositions, le Conseil d’Etat les interprète alors par référence à l’arrêt de la Cour d’Arbitrage n° 26/98 du 10 mars 1998, lequel a décrit le régime linguistique belge en ce sens que les facilités linguistiques ne portent pas atteinte au principe du caractère unilingue de la région linguistique néerlandaise.

De sorte, estime le Conseil d’Etat, que les dispositions relatives aux facilités linguistiques doivent être interprétées de manière à ce qu’elles demeurent conformes à ce statut prioritaire du néerlandais.

Or, l’interprétation large faite par les parties requérantes des facilités linguistiques ne serait pas conforme à un tel statut.

En effet, poursuit le Conseil d’Etat, cette interprétation et la pratique administrative qui en résulte impliquent un régime de bilinguisme, dans lequel la préférence linguistique de certaines personnes est même fixée dans des supports.

- Selon le Conseil d’Etat, les circulaires attaquées mettent donc fin à une situation illégale. Dans cette mesure, conclut le Conseil d’Etat, l’annulation de ces circulaires ne procurerait aucun intérêt légitime à ceux qui la demandent, de sorte que les requêtes en annulation doivent être déclarées irrecevables.

Une telle annulation reposerait en effet sur une interprétation non-conforme des lois coordonnées sur l’emploi des langues en matière administrative, alors que l’interprétation défendue par les circulaires litigieuses, selon laquelle la demande d’utilisation du français doit être répétée au cas par cas, serait quant à elle bien compatible avec la notion légale de « désir de l’intéressé » visée à l’article 26 des lois coordonnées.

Et le Conseil d’Etat de déclarer les requêtes en annulation irrecevables pour défaut d’intérêt légitime dans le chef des requérants.


Examen critique des arrêts du Conseil d’Etat

Le raisonnement suivi par le Conseil d’Etat appelle les critiques suivantes.

Primo, la méthode utilisée est pour le moins peu fréquente.

Au lieu d’examiner les moyens d’illégalité soulevés par les parties requérantes et d’éventuellement déclarer ceux-ci non fondés, le Conseil d’Etat les déboute pour l’une des pires critiques qui soit, à savoir le défaut d’intérêt légitime dans leur chef. Ce choix se veut particulièrement provoquant et aura nécessairement le don d’exacerber les tensions communautaires.

Il eut sans doute été plus judicieux d’aborder la problématique différemment.

Par ailleurs, au lieu d’examiner la légalité des circulaires linguistiques incriminées en les confrontant aux lois coordonnées sur l’emploi des langues en matière administrative, la haute juridiction administrative concentre son analyse sur l’interprétation que les parties requérantes font desdites lois. Le procès fait à un acte administratif est ainsi transformé en un procès fait à la jurisprudence de la Commission permanente de contrôle linguistique, invoquée par les parties requérantes.

Secundo, les arrêts interprètent plusieurs dispositions des lois coordonnées sur l’emploi des langues en matière administrative sans la moindre référence aux travaux préparatoires, lesquels servent pourtant de substrat de premier choix pour l’interprétation de textes qui s’avèrent ne pas être clairs.

Ceci n’est pas surprenant dès lors que rien dans les travaux préparatoires ne permet de confirmer la thèse flamande que le Conseil d’Etat a manifestement souhaité confirmer.

Tertio, la motivation des arrêts, déjà fort sommaire, ne peut à notre sens être retenue.

- Ainsi, les arrêts se réfèrent à un arrêt de la Cour d’arbitrage n°26/98 du 10 mars 1998.

Or, cet arrêt ne concerne pas le fonctionnement externe des services administratifs (rapport des administrations avec les particuliers), mais bien uniquement le fonctionnement interne de l’administration (article 23 des lois coordonnées).

- Les arrêts invoquent encore les articles 26 et 28 des lois coordonnées, qui font état du désir exprimé par la personne intéressée d’obtenir en français (10) les documents y mentionnés, pour en déduire une nécessaire expression de volonté de l’administré au cas par cas.

Or, l’article 25 desdites lois (11) , qui traite des rapports entre l’administration et les particuliers et qui constitue le siège de la problématique, se contente quant à lui d’exiger de l’administration qu’elle emploie la langue utilisée par l’administré.

L’administration peut à notre sens et sur base de cette disposition connaître la langue utilisée par l’administré et, partant, l’employer dans les rapports qu’elle entretient avec lui, sans que l’administré en exprime à chaque fois le souhait.

Au surplus, et pour autant qu’il faille faire référence au « désir exprimé » par l’administré, celui-ci peut l’être une fois pour toute, sans mettre à mal le caractère unilingue de la Région flamande et sans porter atteinte à la primauté de la langue néerlandaise garantie par l’article 4 de la Constitution (12) .

Un juste équilibre entre la primauté de la langue néerlandaise et les droits reconnus aux francophones était adéquatement établi par la jurisprudence de la Commission permanente de contrôle linguistique que le Conseil d’Etat balaie toutefois d’un revers de la main sans nullement convaincre en droit.

Quatro, il est enfin piquant de relever que la presse, tant flamande que francophone (De Standaard, 29.12.2004, p. 1, Le Soir, 30.12.2004, p.1) titrent « la fin des facilités », alors que celles-ci sont inscrites dans les lois coordonnées.

Le sentiment général est donc que le Conseil d’Etat met fin à un régime pourtant institué par la loi et la Constitution.


Conclusion

Les arrêts commentés ne parviennent pas à nous convaincre.

1. Ils ne contiennent aucune référence au contexte politique qui a donné naissance aux facilités linguistiques ni aux travaux préparatoires, pourtant particulièrement abondants et nécessaires lorsqu’il s’avère opportun - ce qu’a estimé le Conseil d’Etat en l’espèce - d’interpréter une loi.

2. Les arrêts reposent entièrement sur un double postulat, d’ailleurs exprimé en des termes presque identiques dans les circulaires attaquées, selon lesquels, d’une part, la pratique administrative qui a précédé la mise en œuvre des circulaires procéderait d’une interprétation extensive des lois coordonnées et, d’autre part, le régime linguistique de la Belgique s’opposerait à la mise en place d’un système de bilinguisme dans les communes à facilités.

Fondé sur de simples postulats non adéquatement démontrés, force est dès lors de constater que le débat juridique sur la portée des facilités linguistiques n’a pas été véritablement tranché par le Conseil d’Etat.

3. La portée des arrêts du Conseil d’Etat – et se sera peut-être la seule consolation des requérants – est toutefois d’autant plus relative qu’il s’agit d’arrêts de rejet.

Rappelons à cet égard que depuis un arrêt du 9 janvier 1997 de la Cour de cassation, la jurisprudence de cette Haute Juridiction judiciaire est en effet désormais clairement établie en ce sens qu’elle dénie « toute autorité quelconque à un arrêt de rejet du Conseil d’Etat, même relative, donc même entre les mêmes parties et même lorsque les critiques de légalité adressées à l’acte administratif devant les deux Ordres de juridiction sont identiques » (13) .

Il est dès lors plus que probable que les francophones des communes à facilités poursuivront les nombreuses procédures judiciaires introduites à ce jour, tant devant les juridictions francophones que néerlandophones, et qu’il appartiendra sans doute à la Cour de cassation de se prononcer également sur la légalité des circulaires linguistiques, sans être aucunement liée par les arrêts prononcés par le Conseil d’Etat le 23 décembre 2004.

Le débat n’est donc pas clos et il est à espérer que les décisions qui seront prises à l’avenir, quelques soient leurs conclusions, reposeront sur des considérations juridiques plus convaincantes.

4. Le débat pourrait d’ailleurs être également relancé devant le Conseil d’Etat.

Certes la haute juridiction administrative accorde à ses arrêts de rejet une autorité de chose jugée.

Celle-ci est toutefois relative en ce qu’elle ne vaut qu’inter partes (14) .

Rien n’empêcherait donc un citoyen, qui n’a pas attaqué les circulaires concernées jusqu’à présent, de saisir le Conseil d’Etat d’un recours en annulation introduit à l’encontre d’une décision individuelle lui notifiée par la commune ou le CPAS concernés de ne pas faire droit à sa demande, formulée de manière générale et par référence à tous les actes administratifs visés par les lois coordonnées, de les lui notifier en français.

5. Un dernier vœu enfin.

Que le législateur prenne conscience que de tels recours (15) doivent nécessairement être connus de chambres bilingues.

Justice must not only be done, it must also be seen to be done.

La justice rendue par le Conseil d’Etat gagnerait ainsi ses galons d’impartialité objective en matière linguistique.

Un et unique et ne connaissant pas d’équilibre linguistique au sein de chacune de ses chambres, contrairement à la Cour d’Arbitrage, le Conseil d’Etat risque en effet d’être aujourd’hui pointé du doigt pour « partialité linguistique », surtout lorsqu’Il rejette des requêtes pour défaut d’intérêt légitime, sans qu’aucune voie de recours ne soit ouverte aux requérants.



Tangui VANDENPUT
Avocat - Cabinet Xirius



Notes:

(1) L’on peut d’ailleurs s’étonner qu’au jour où furent adoptées les circulaires critiquées, le Ministre fédéral de l’Intérieur, francophone à l’époque, n’ait pas adopté de circulaires en sens contraire.

(2) A titre d’exemple, l’envoi d’un avertissement d’extrait de rôle à un contribuable est considéré comme étant un rapport avec un particulier.

(3) Doc. Parl., Ch. Repr., séance du 11 juillet 1963, rapport compl. n°331/35, Pasin ; 1963 p.977, Spéc. p. 978.

(4) Voir la jurisprudence particulièrement abondante et constante de la Commission permanente de contrôle linguistique citée par Frédéric GOSSELIN, dans son ouvrage intitulé « L’emploi des langues en matière administrative », Ed. Kluwer, 2003, Bruxelles, p. 25.

(5) M. Boes et K. Abbeloos, « Vernederlandsing van het straatbeeld en verfijning van de bestuurstaalwetgeving”, Provincie Vlaamse Brabant, 1999, p. 21.

(6) Lire en ce sens un jugement inédit prononcé par le juge des saisies francophone de Bruxelles du 16 janvier 2003 (RG 01/1255/A), lequel constate l’illégalité d’un avertissement extrait de rôle notifié en néerlandais à un contribuable francophone domicilié dans une commune à facilités et dont ladite commune connaissait l’appartenance linguistique.

(7) Lire en ce sens un jugement inédit prononcé par le Tribunal de première instance de Gand relativement à un recours fiscal introduit par un contribuable francophone d’une commune à facilités (RG 00/3576/A).

(8) Les francophones ne doivent pas rappeler leur appartenance linguistique au cas par cas.

(9) Les francophones ne doivent pas rappeler leur appartenance linguistique au cas par cas.

(10) En l’espèce.

(11) Le Conseil d’Etat écarte l’analyse de cet article au motif qu’aucun moyen n’aurait été pris de sa violation. Or, les lois coordonnées sur l’emploi des langues en matière administrative sont d’ordre public et il appartenait au Conseil d’Etat de se pencher sur cette disposition qui n’est certainement pas anodine pour la solution à apporter au litige.

(12) Rien, ni dans la Constitution, ni dans les lois coordonnées, ni dans leurs travaux préparatoires, n’indique le contraire.

(13) Cass. 9 janvier 1997, R.C.J.B., 2000, p. 257, avec note de D. LAGASSE, « L’absence de toute autorité de chose jugée d’un arrêt de rejet du Conseil d’Etat devant les cours et tribunaux ou de la suprématie du principe de la légalité administrative sur le principe de la sécurité juridique »

(14) Lire en ce sens M. LEROY, Contentieux administratif, 3ème Edition, Bruylant, Bruxelles, 2004, pp. 701 et suiv.

(15) Relatifs au régime linguistique administratif de notre pays.



Auteur : Tangui Vandenput
Source : DroitBelge.Net - 31 décembre 2004